GÈNES ET DÉVELOPPEMENT


La molécule d'acide desoxyribonucléique, de son petit nom ADN, fait très souvent les manchettes. La communauté scientifique met toujours beaucoup d'espoir et de ressources à découvrir des gènes qui pourraient "causer" certaines maladies. Étant donné la complexité de la nature humaine, on peut penser qu'il faut un ADN fort complexe pour la construire. Or, le génome humain n’est pas plus complexe que celui d’organismes « inférieurs » tels la souris ou le persil !

L'ADN humain comprend quelque 3 milliards de paires de bases azotées, soit 200 fois plus que la levure (saccharomyces cerevisae) mais 200 fois moins que l'amibe (amoeba dubi) !De plus, seulement 5 % du génome humain serait fonctionnel, formant environ 25,000 gènes. Ce nombre de gènes est semblable à celui des organismes primitifs tel le ver nématode (Caenorhabditis elegans) et la mouche à fruits (Drosophila melanogaster). Pourtant, contrairement au cerveau humain avec ses quelque 100 milliards de neurones, le système nerveux du ver nématode ne comprend que 302 neurones et celui de la mouche à fruits, 250 000 neurones. Il n’existe donc pas de lien entre la complexité du génome et la complexité du cerveau responsable des capacités cognitives.

Pour comprendre comment ces gènes, ces portions d'ADN fonctionnel marqué par une structure chimique toute simple, réussissent à élaborer un être humain si complexe, il faut un environnement à la fois bien spécifique en début de vie et plus diversifié par la suite. Ainsi tout phénotype structurel (neurotransmetteurs, neurones, cerveau, etc.) ou fonctionnel (comportement, cognition, etc.) est le résultat d'une interaction entre les gènes qu'un organisme possède (son génotype) et l'environnement dans lequel il se développe.

Modèle génétique-développemental de l'agression

Tout animal placé en isolement (absence de contacts sociaux) pour une certaine période de temps montre un fort degré de réactivité émotionnelle, particulièrement lors de situations sociales. Chez les souris ICR (Institute for Cancer Research), des souris dites "outbred" —c'est-à-dire qui ne sont pas identiques au plan génétique—, certaines deviennent excessivement agressives tandis que d'autres sont inhibées et manifestent ce que l'on appelle du "freezing", c'est-à-dire une posture à la fois rigide et immobile, analogue à un épisode cataleptique.


Que ce ne soit pas toutes les souris qui deviennent agressives suivant une période d'isolement (l'environnement est donc identique pour toutes les souris) laisse pressentir que les différences comportementales observées sont potentiellement dues à des différences génétiques. Il est possible de consolider cette hypothèse en sélectionnant d'une part les souris les plus agressives et d'autre part les souris les moins agressives, puis les faire reproduire indépendamment. Par exemple, après avoir placé 100 souris en isolement pendant 4 semaines et les avoir observées en interaction sociale pendant 10 minutes, on compte le nombre d'attaques initiées par la souris "isolée" ; on peut prendre alors les 25 souris ayant exhibé le plus d'attaques (lignée NC900) et les 25 souris en ayant exhibé le moins (lignée NC100) et on les fait reproduire. Les souriceaux de cette première génération subissent alors la même procédure expérimentale. Ils seront isolés et testés, et les 25% les plus agressifs de la lignée NC900 et les 25% les moins agressifs de la lignée NC100 seront sélectionnés pour la prochaine génération.

Ce procédé repose sur le principe de la sélection artificielle (selective breeding), procédé connu et pratiqué depuis des millénaires par les éleveurs afin d'obtenir des espèces végétales ou animales possédant des caractéristiques physiques ou comportementales spécifiques (par ex., "pur sang").

Ce qui est important de retenir, c'est que via la sélection artificielle, on ne sélectionne pas directement des gènes mais des phénotypes, c'est-à-dire des attributs physiques ou comportementaux qui résultent de l'activité des gènes dans un environnement spécifique. Si on obtient une lignée de souris fortement agressives après une période d'isolement social et qu'au lieu d'élever la prochaine génération en solitaire, on le fait en regroupant les souris, on observe pratiquement plus d'agression. De plus, changer simplement l'âge à lequel on place les souris en isolement ou encore l'âge à lequel se fait le test social et les différences entre les lignées disparaissent. Ainsi, non seulement c'est l'expression de gènes dans un environnement précis qui a été sélectionnée et non les gènes eux-mêmes, mais l'expression de ces gènes est hautement tributaire de la procédure en laboratoire et de la période développementale.

L'efficacité de la sélection artificielle à générer des lignées d'animaux de plus en plus similaires au plan phénotypique a bien malheureusement servi de tremplin au mouvement eugéniste du XXe siècle. Adopté dans plusieurs pays d'Europe et d'Amérique, la mission de l'eugénisme était d'améliorer les "races humaines" en incitant les "bons" à avoir des enfants (eugénisme dit positif) et en éliminant ceux qui ne répondaient pas aux critères physiques, cognitifs, ou comportementaux choisis par l'état (eugénisme dit négatif).

Photo Eugenisme


Pour en savoir davantage sur la génétique et le développement de l'agression

Cairns, R.B. (1979). Social development: The origins and plasticity of interchanges. San Francisco: Freeman.

Gariépy, J.-L., Gendreau, P.L., Mailman, R.B., Tancer, M.E., & Lewis, M.H. (1995). Rearing conditions alter social reactivity and D1 dopamine receptors in high- and low-aggressive mice. Pharmacology, Biochemistry, and Behavior, 51, 767-773.

Lewis, M.H., Gariépy, J.-L., Gendreau, P.L., Nichols, D.E., & Mailman, R.B. (1994). Social reactivity and D1 dopamine receptors: Studies in mice selectively bred for high and low levels of aggression. Neuropsychopharmacology, 10, 115-122.

Petitto, J.M., Gariépy, J.-L., Gendreau, P.L., Rodriguiz, R.M., Lewis, M.H., & Lysle, D.T. (1999). Differences in NK cell function in mice bred for high and low aggression: genetic linkage between complex behavioral and immunological traits? Brain, Behavior, and Immunity, 13, 175-186.

Pérusse, D., & Gendreau, P.L. (2005). Genetics and the development of aggression. In R.E. Tremblay, W.H. Hartup, & J. Archer (Eds.), Developmental origins of aggression (pp. 223-241). New York: Guilford Press.