Bases biologiques du développement psychosocial


Tout ce que nous pensons et tout ce que nous faisons résulte de l'activité du cerveau. C'est le cerveau qui engendre la conscience et l'intellect; c'est le cerveau qui contrôle les joies et les peines. La faim, les toxicomanies, les amours et le plaisir, les délires et l'ambition, l'attachement maternel, toutes nos attitudes, tous nos comportements sont ultimement le résultat de l'activité du cerveau.

Située au carrefour de la psychologie et des neurosciences, la neurobiologie du développement occupe une place de plus en plus considérable dans le domaine de l'éducation et de la santé publique. Photo cerveau vu du hautEn effet, comprendre comment le cerveau se développe et comment il est façonné non seulement par les gènes mais aussi par l'environnement et l'éducation est l'un des plus imposants défis scientifiques du XXIième siècle. Tout comme la révolution cognitive des années 60, l'intégration de la neurobiologie développementale aux sciences de l'éducation aura des répercussions majeures positives. L'éducation n'est possible que grâce à la capacité des cellules du cerveau (neurones et cellules gliales) de se transformer à la suite d'expériences nouvelles ou répétées. La reconfiguration des réseaux de neurones existants et de leurs connexions (synapses) est en effet l'assise même de l'apprentissage. La rééducation est parfois plus ardue justement parce que les réseaux neuronaux déjà présents sont plus solides et plus difficiles à modifier. Et parce que la plasticité cérébrale diminue avec l'âge, les éducateurs doivent parfois fournir des efforts démesurés pour générer un changement comportemental qui, bien que paraissant souvent modeste, peut avoir des répercussions non négligeables pour l'enfant, l'adolescent ou l'adulte en besoin.

Plusieurs problèmes de comportements de type extériorisé sont liés à des particularités neurobiologiques. Par exemple, le trouble déficitaire de l'attention avec hyperactivité (TDAH) est lié à une dysfonction cérébrale qui peut être palliée, du moins pour environ 60% des individus atteints, par des médicaments ciblant le système dopaminergique (Ritalin) ou le système noradrénergique (Atomoxetine). De plus, certaines régions cérébrales (noyaux gris centraux) sont souvent moins imposantes chez les enfants TDAH. L'impulsivité et l'agressivité peuvent être provoquées par des concentrations basses de sérotonine dans certaines structures cérébrales. Les troubles de type intériorisé tels les différents types de dépression et les troubles anxieux sont également le produit de dysfonctionnements du système nerveux central.

Malgré la signification des neurosciences dans la compréhension du comportement humain, il existe toujours un clivage important entre les sciences biologiques et les sciences humaines. IRM du cerveau vue médianeÀ l'université, les intervenants psychosociaux reçoivent peu de formation en neurobiologie, même s'ils interviennent souvent auprès d'une clientèle "biologiquement vulnérable". En effet, beaucoup de jeunes en difficulté sont médicamentés; certains jeunes sont toxicomanes ou peuvent être sur le point de le devenir. Posséder des connaissances sur le fonctionnement du système nerveux central, sur son développement, sur le fonctionnement et l'effet des médicaments les plus prescrits chez les enfants et les adolescents et sur l'impact immédiat et les conséquences à plus long terme des psychotropes sur le développement du cerveau et le comportement est donc un des objectifs du cours PSE 1101 offert en première année du baccalauréat spécialisé en psychoéducation et au mineur en psychoéducation.


Dopamine et comportements sociaux

Crystaux de dopamine diffractant la lumièreLa dopamine est un important neurotransmetteur du système nerveux central. Découvert assez tardivement vers la fin des années 1950, la dopamine (DA) fut initialement considérée comme un simple précurseur des autres catécholamines noradrénaline et adrénaline. Néanmoins, la DA fut le 1er neurotransmetteur à être associé à une neuropathologie (Maladie de Parkinson en 1966). La DA n'a pas uniquement une fonction motrice. On connaît aujourd'hui son importance dans le phénomène de dépendance aux drogues de même qu'au niveau de l'attention et de certaines fonctions du lobe frontal. La DA joue également un rôle notable dans la schizophrénie mais contrairement à la maladie de Parkinson ou encore au trouble déficitaire de l'attention avec hyperactivité, la schizophrénie serait associée à un excès d'activité dopaminergique dans certaines régions du cerveau et non à un déficit.

En 1994, nous avons testé l'effet d'un agoniste de la dopamine sur les comportements de souris sélectionnées génétiquement pour leur fort niveau d'agressivité (voir modèle génétique-développemental de l'agression). L'effet fut radical: les souris qui habituellement attaquaient leur congénère au 1er contact social furent transformées en souris totalement inoffensives et craintives, tentant de fuir au moindre contact social. Ces résultats nous ont incités à investiguer davantage le rôle du système dopaminergique dans l'expression des comportements émotionnels.

Une série d'articles neuropharmacologiques ont été publiés visant à préciser le rôle des récepteurs dopaminergiques D1, D2 et D3 les récepteurs sont des protéines situées à la surface des neurones auxquelles se lient les neurotransmetteurs, déclenchant ainsi une série de réactions chimiques qui modifie la perméabilité de la membrane neuronale et qui conduit à stimuler ou inhiber l'influx nerveux). Le récepteur D3 était une cible particulièrement intéressante pour nos études puisque ce type de récepteur est principalement localisé dans les régions limbiques du cerveau (et donc contrôlant les réactions émotionnelles). Nos études sont parmi les premières à avoir examiner le rôle des récepteurs dopaminergiques dans l'expression des comportements émotionnels.

Par ailleurs, contrairement aux modèles expérimentaux habituellement utilisés en neuroscience pour investiguer le comportement (les animaux sont testés en solitaire), nos études portèrent principalement sur l'expression émotionnelle en contexte social. Bien qu'évidemment limitées par l'affinité et la sélectivité des agents pharmacologiques utilisés, ces études ont permis de conclure que l'activation du système dopaminergique élimine toute agression et provoque des comportements défensifs exagérés, évoquant un état anxieux. Tandis que l'activation des récepteurs D1 ou D3 produisait une augmentation flagrante de la réactivité émotionnelle (comportement de fuite), l'activation des récepteurs D2 induisait une réactivité plus stationnaire comprenant entre autres le "freezing" (posture rigide) et le "boxing" (posture sur les pattes arrière avec les pattes avant étirées vers l'avant afin de tenir l'autre animal à distance).


Pour en savoir davantage sur les bases biologiques du comportement

Gendreau, P.L., & Ravacley, S. (2007). La neurobiologie des troubles anxieux. In L. Turgeon & P.L. Gendreau (Éds.), Les troubles anxieux chez les enfants (pp. 49-81). Marseille: Solal. En format PDF

Gendreau, P.L., & Larivée, S. (2007). Les bases biologiques de l’intelligence. In S. Larivée (Éd.), L’intelligence : Approches biocognitives, développementales et contemporaines (pp. 39-67). St-Laurent, QC: Éditions du Renouveau Pédagogique.

Gendreau, P.L., & Lewis, M.H. (2005). Social deprivation, social-emotional behavior, and the plasticity of dopamine function. In D.M. Stoff & E.J. Susman (Eds.), Developmental psychobiology of aggression (pp. 43-68). Cambridge, MA: Cambridge University Press. En format PDF

Gendreau, P.L., Petitto, J.M., Petrova, A., Gariépy, J.-L., & Lewis, M.H. (2000). D3 and D2 dopamine receptor agonists differentially modulate social-emotional reactivity in mice. Behavioural Brain Research, 114, 107-117. En format PDF

Petitto, J.M., McNamara, R.K., Gendreau, P.L., Huang, Z., & Jackson, A.J. (1999). Impaired learning and memory and altered hippocampal neurodevelopment resulting from interleukin-2 gene deletion. Journal of Neuroscience Research, 56, 441-446.

Gendreau, P.L., Petitto, J.M., Gariépy, J.-L., & Lewis, M.H. (1998). D2-like dopamine receptor mediation of social-emotional reactivity in a mouse model of anxiety: strain and experience effects. Neuropsychopharmacology, 18, 210-221. En format PDF

Gendreau, P.L., Petitto, J.M., Gariépy, J.-L., & Lewis, M.H. (1997). D1 dopamine receptor mediation of social and nonsocial emotional reactivity in mice: effects of housing and strain difference in motor activity. Behavioral Neuroscience, 111, 424-434.

Gendreau, P.L., Petitto, J.M., Schnauss, R., Frantz, K.J., Van Hartesveldt, C., Gariépy, J.-L., & Lewis, M.H. (1997). Effects of the D3 dopamine receptor antagonist PNU 99194A on motor behavior and emotional reactivity in C57BL/6J mice. European Journal of Pharmacology, 337, 147-155. En format PDF