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La question du développement africain est d'une grande importance sur la scène internationale. Le continent vit une époque riche en bouleversements et en réorientations. Cette période est cependant aussi très fertile en possibilités d'essor et d'épanouissement tant sur le plan politique que sur le plan économique.

 

            Comme pour le cas de tous les pays en voie de développement, l'articulation entre les réformes politiques et les réformes économiques est au cœur de la réflexion sociale et politique au sujet de l'Afrique subsaharienne.

 

            De nombreux auteurs, provenant de diverses écoles de pensée, s'intéressent à cette question par rapport à l'Afrique. John A. Wiseman a publié un texte qui élabore sur cette responsabilité des facteurs politiques et économiques dans le cadre du renouveau africain. Le texte qui suit se veut un résumé critique de son article :"Démocratisation, réforme économique et conditionalités en Afrique subsaharienne: contradictions et convergences". Les éléments principalement étudiés sont les impacts des deux types de réforme sur l'essor des États africains.

 

 

            Le texte de Wiseman dont il est question dans le cadre de ce travail se situe dans la foulée de la fin de la guerre froide et de la remise en question de l'ordre africain. Son analyse politique et économique sur les conditionalités est encadrée par une mise en perspective de l'importance des facteurs internes et externes de réforme au sein des États africains. Pour terminer, il dresse une conclusion ouvrant les perspectives sur de nouvelles recherches éventuelles.

 

            Dès le départ, Wiseman postule sur l'importance prépondérante des pressions internes dans le développement de l'Afrique :"je considère les pressions internes au continent comme étant les plus importantes en ce qui concerne l'explication du déroulement des événements en Afrique depuis 1989"[1]. Ce postulat veut contrer l'idée de la passivité des peuples africains dans leur destin établit un débat dont les africains sont partie prenante et non comme un débat idéologique entre universitaires étrangers[2].

 

            Dans les processus africains, Wiseman identifie des éléments externes ayant eu une influence non intentionnelle sur la démocratisation de l'Afrique. Par exemple, la chute des régimes communistes a donné espoir aux démocrates africains en leur montrant dans les faits que les tyrans pouvaient êtres renversés. De plus, l'auteur traite de l'érosion de la légitimité des autocrates africains à partir du moment où les modèles économiques extérieurs entachèrent leur vision très interventionniste de l'État.

 

            Au plan des influences extérieures délibérées Wiseman traite des conditionalités économiques et politiques mises en place afin :"… d'influencer les États africains"[3]. En réalité, ce sont les pressions mises sur ces États par les agences internationales afin de les rendre conformes aux programmes d'aide économique proposées.

 

1-     Le rôle des conditionnalités économiques

 

L'ensemble des conditions économiques à l'aide extérieure est symbolisée par l'établissement de politiques d'ajustement structurel. Un des éléments centraux de ces politiques est :"la réduction de ce qui est perçu comme l'aspect négatif de l'intervention de l'État dans l'économie"[4]. L'objectif de ces mesures économiques était l'essor monétaire et productif des différents pays africains. Ces initiatives, souvent contestées par les chercheurs de gauche, voulaient permettre à l'Afrique de sortir du marasme dans lequel elle était embourbée.

 

Une des conséquences de ces mesures agit sur le plan politique. En effet, c'est la vision de l'organisation étatique qui fut ainsi modifiée. Traditionnellement, en Afrique, les régimes politiques, pour la plupart issus de la décolonisation, étaient très interventionnistes en matière d'économie. Or, l'avènement des politiques d'ajustements structurels vinrent réduire le rôle de l'État. Les dirigeants en place, souvent très autoritaires, perdirent alors de leur pouvoir :"Les élites au pouvoir, qui avaient profité de leur mainmise sur l'économie pour pouvoir tisser un réseau de relations de type clientèliste, ont vu leur position affaiblie par la réduction du rôle de l'État"[5]. Dans la réalité, c'est tout le système du copinage et du népotisme qui fut affecté par le désengagement économique de l'État africain. Wiseman parle d'une véritable crise au sein de la classe dirigeante de certains pays.

 

Les politiques d'ajustements structurels ont favorisé les campagnes aux dépens des villes (privilégier l'agriculture, au début, et non l'industrialisation rapide). Cela a occasionné un affaiblissement du support aux régimes dictatoriaux dans les grandes métropoles. Ces tensions existaient auparavant mais les conditionalités économiques les ont exacerbées. Wiseman dit que l'Afrique était un terreau fertile pour une plus grande démocratisation, que ces tendances n'attendaient qu'à pouvoir s'exprimer. À ce niveau, les conditionalités économiques auraient agit comme un catalyseur.

 

Bien entendu, les influences économiques n'ont pas tout fait seules. Néanmoins, il ne serait pas convenable de les omettre. Cette situation rejoint bien l'idée qui dit que pour qu'une démocratie s'épanouisse, elle a besoin d'États qui fonctionnent bien sur le plan économique. C'est un effet que l'on recherche des politiques d'ajustements structurels. Leur mise en place s'inscrit dans un courant idéologique qui favorise les forces du marché de concert avec le pluralisme démocratique.

 

L'Afrique est ici un cas intéressant. En effet, ce sont souvent les échecs économiques qui ont incités les pressions internes favorisant la démocratisation de la société. Toutefois, ce n'est que le succès économique sur une période longue qui pourra témoigner de la consolidation des réformes politiques[6].

 

2-     Le rôle des conditionalités politiques

 

Après la fin de la guerre froide, on assiste à des modifications dans les critères d'aide aux pays africains. Si auparavant le système économique dictait les conditions de l'aide fournie par les agences internationales :"les considérations politiques devenaient de plus en plus importantes dans le processus de décision"[7]. Cette orientation venait du constat d'échec du fait de se limiter strictement aux aspects de conditionalité économiques. On a raffermit l'idée que le développement démocratique devait allé de pair avec le développement économique afin d'obtenir des changements souhaitables et durables en Afrique.

 

À ce chapitre, Wiseman insiste sur le fait que ce ne sont pas les agences extérieures qui ont inventé la réforme politique en Afrique. Qui plus est, il affirme que :"je ne peux pas penser à un seul cas en Afrique où la pression externe pour des réformes politiques … n'ait pas été précédée d'une pression interne suffisamment significative"[8]. Une telle affirmation renforce le concept du terreau fertile pour des bouleversements politiques et économiques en Afrique. De même, on conçoit alors que les peuples africains n'ont pas été que passif dans le processus de démocratisation mais que, bien au contraire, ce serait leur mouvance qui l'aurait permise.

 

L'auteur va plus loin en ce domaine. Il indique que les agences extérieures se seraient montrées prudentes en raison de la nouveauté du phénomène et de la crainte de perdre le contrôle de la nouvelle démocratisation africaine. Le support aux mouvements de démocratisation a donc été donné à pas feutrés seulement. Wiseman parle du soutien à la gouvernance et non à la démocratie. Autrement dit, on aurait préférer rehausser la légitimité du domaine public plutôt que de procéder à une promotion démocratique en bonne et due forme, voire plus radicale. Cette situation a ajouter un flou à la situation africaine en ne fournissant pas un support absolu à la démocratisation.

 

Selon Wiseman :"les conditionalités politiques ont joué un faible rôle dans le soutien au changement mais que, dans certains cas, la contribution a été décisive pour atteindre le résultat"[9]. On note ici la grande variété dans les processus de démocratisation en Afrique. En effet, cette contribution n'a pas eu un impact majeur partout. L'auteur cite l'exemple du Kenya et du Malawi pour justifier cette thèse et montrer que des pressions externes ont pu, à un moment ou à un autre, faire une véritable différence.

 

Dans cette même veine, on peut affirmer que la démocratie n'a pas été imposée en Afrique par les conditionalités politiques. En effet, une base interne devait exister pour qu'un espoir d'ancrage démocratique si faible soit-il puisse exister. D'autant plus que, dans l'ensemble des sociétés civiles africaines, certaines forces ne veulent pas de la démocratisation et préfèrent ne pas modifier le rapport de force établi. Cette analyse rejoint le postulat de base de l'auteur.

 

La nouvelle démocratisation en Afrique a eu des effets positifs sur le plan économique. Le pluralisme politique installé à certains endroits a amené une multiplication des vues et des modes de solution proposés. Au plan économique, des bourdes monumentales furent ainsi certes évitées par l'ouverture des sphères politiques nationales :"La possibilité de critiquer ouvertement la politique gouvernementale n'efface pas les erreurs mais les rend plus improbables"[10]. Bien entendu, la démocratie n'est pas un produit miracle pour un essor économique soutenu et durable mais il peut en être un ingrédient essentiel.

 

3-     Bilan

 

L'analyse de la démocratisation en Afrique vise à mieux comprendre quelle forme la nouvelle démocratie africaine devrait prendre. À ce niveau, Wiseman évalue par ordre d'importance les critères démocratiques à consolider en priorité.

 

Pour lui, c'est le multipartisme qui est le facteur le plus important à long terme. En outre, il est celui qui permet l'expression de vues divergeantes et un brassage d'idées porteur d'un dynamisme renouvelé dans la société civile. Également, l'auteur place en haute estime la tenue d'élections libres, surveillées étroitement par des agences et organismes extérieurs. Cette condition va de pair avec le multipartisme et il en permet le fonctionnement légitime.

 

Wiseman n'apprécie pas beaucoup les idées de "démocratie à l'africaine". Selon lui, ce concept est dangereux car il pourrait mener à une reproduction des régimes fortement autoritaires. À ce propos, il rappelle ce processus qui s'est déjà matérialisé au lendemain de la quête des indépendances nationales. Pour lui, la démocratie africaine doit s'inspirer de celle faite ailleurs et respecter ses préceptes fondamentaux minimaux. L'auteur craint l'adaptation trop large du terme de démocratie à l'Afrique de craint de le voir dénaturé. Considérant que la démocratie n'est pas un état fixe mais évolutif, Wiseman estime que :"Surveiller et réévaluer la démocratie en Afrique devrait constituer une part importante des conditionalité politiques"[11].

 

En conclusion, Wiseman estime que les liens entre la démocratisation et les conditions économiques et politiques sont assez étroits et que leur développent de concert est le meilleur gage de succès des États africains dans le futur.

 

4-     Critique

 

Le texte de Wiseman est rédigé dans un style limpide et sans équivoque. La division du texte, bien qu'un peu escamotée, est assez simple et permet de bien cerner la pensée de l'auteur.

 

L'approche analytique de Wiseman est pertinente car elle nous force à comprendre l'interdépendance entre les concepts politiques et économiques dans l'ensemble du processus de démocratisation. Sa vision globale de l'Afrique est une force car il traite de phénomènes généraux et de l'application pratique de grands modèles à de grands ensembles géopolitiques. En ce sens, son approche ressemble de près aux approches classique en matière de théories du développement. Ces perspectives tendent à universaliser, dans une certaine mesure, l'impact de quelques variables ciblées. Ici, par exemple, existence d'une mouvance pro-démocratie, libéralisation de l'économie, incitation à l'ouverture politique et, éventuellement, démocratisation. Ces éléments sont vus dans un continuum. Wiseman se sert de cas précis (Kenya et Malawi) pour étayer sa thèse.

 

En demeurant au niveau d'analyse général, l'auteur n'entend pas entrer dans le détail du processus au cœur de chaque État distinct. Wiseman fait parfois des généralisations mais celles-ci ont pour but de nous faire saisir l'ensemble d'un phénomène et de son expression. La manière dont il présente l'articulation entre les facteurs économiques et politiques et leur impact est très réussie. En effet, il est possible pour le lecteur de comprendre un argumentation complexe car elle est présentée d'une façon générale et simple.

 

Cet apport intellectuel est pertinent en ce début de siècle alors que l'Afrique est à un carrefour au niveau de sa démocratisation. Il est important de comprendre les mécanisme d'établissement des régimes prospères et libres afin que les forces progressistes au sein des États africains puissent s'en inspirer. C'est seulement de cette manière qu'elles pourront actualiser leur potentiel.

 

L'angle d'analyse du texte n'a cependant pas uniquement que des qualités. En effet, Wiseman n'élabore que très peu sur des cas spécifiques. À mon sens, son article devrait être complété par une étude de cas sérieuse et représentative de la réalité africaine. Il reconnaît le dynamisme des populations africaines mais ne fait que peu de cas des endroits où il ne s'est pas exprimé dans la direction d'une démocratisation accrue. En réalité, la généralisation à la base de son article est peut être un peu exagérée. Il semble dire que si certaines conditions sont réunies, un effet prévisible se manifestera presque inévitablement. Or, on sait que ce n'est pas nécessairement le cas.

 

Cette faiblesse du texte est convenable compte tenu de l'approche très générale choisie par l'auteur. Certains éléments demeurent toutefois ambigus. Par exemple, il ne parle que peu spécifiquement des "agences extérieures". À plusieurs reprises dans le texte, il emploi ce genre de termes très général qui masque un peu une myriade de cas d'espèces qui peuvent avoir un impact significatif. Encore une fois, une étude de cas poussé serait essentielle afin de se documenter sur la nouvelle démocratisation en Afrique.

 

Au moment où le continent noir s'apprête à s'engager dans de nouvelles voies, l'étude de Wiseman est intéressante. L'Afrique a une nouvelle chance de se démocratiser et on a besoin de modèles généraux pour bien comprendre cette situation. L'impact des conditionalité est crucial pour mieux saisir ce que nous pouvons faire afin de faciliter l'ouverture des sociétés africaines via une aide aux élites démocratiques locales. Les prochaines années seront déterminantes et donneront peut être naissance à de nouveaux modèles pour expliquer la démocratisation des sociétés et des pays en développement.

 



[1]  Wiseman, p.459.

[2]  p. 460.

[3]  p. 464.

[4]  p. 466.

[5]  p. 467.

[6]  p. 469.

[7]  p. 469.

[8]  p. 469.

[9]  p. 471.

[10]  P. 474.

[11]  P. 478.