(19 février) Causes et modèles de transition en Afrique Nicolas Tétrault (2ème rapport de lecture) Résumé critique du texte de Wiseman |
1-Le rôle des conditionnalités économiques 2-Le rôle des conditionnalités politiques |
La
question du développement africain est d'une grande importance sur la scène
internationale. Le continent vit une époque riche en bouleversements et
en réorientations. Cette période est cependant aussi très fertile en
possibilités d'essor et d'épanouissement tant sur le plan politique que
sur le plan économique.
Comme pour le cas de tous les pays en voie de développement,
l'articulation entre les réformes politiques et les réformes économiques
est au cœur de la réflexion sociale et politique au sujet de l'Afrique
subsaharienne.
De nombreux auteurs, provenant de diverses écoles de pensée,
s'intéressent à cette question par rapport à l'Afrique. John A. Wiseman
a publié un texte qui élabore sur cette responsabilité des facteurs
politiques et économiques dans le cadre du renouveau africain. Le texte
qui suit se veut un résumé critique de son article :"Démocratisation,
réforme économique et conditionalités en Afrique subsaharienne:
contradictions et convergences". Les éléments principalement étudiés
sont les impacts des deux types de réforme sur l'essor des États
africains.
Le texte de Wiseman dont il est question dans le cadre de ce
travail se situe dans la foulée de la fin de la guerre froide et de la
remise en question de l'ordre africain. Son analyse politique et économique
sur les conditionalités est encadrée par une mise en perspective de
l'importance des facteurs internes et externes de réforme au sein des États
africains. Pour terminer, il dresse une conclusion ouvrant les
perspectives sur de nouvelles recherches éventuelles.
Dès le départ, Wiseman postule sur l'importance prépondérante
des pressions internes dans le développement de l'Afrique :"je
considère les pressions internes au continent comme étant les plus
importantes en ce qui concerne l'explication du déroulement des événements
en Afrique depuis 1989"[1].
Ce postulat veut contrer l'idée de la passivité des peuples africains
dans leur destin établit un débat dont les africains sont partie
prenante et non comme un débat idéologique entre universitaires étrangers[2].
Dans les processus africains, Wiseman identifie des éléments
externes ayant eu une influence non intentionnelle sur la démocratisation
de l'Afrique. Par exemple, la chute des régimes communistes a donné
espoir aux démocrates africains en leur montrant dans les faits que les
tyrans pouvaient êtres renversés. De plus, l'auteur traite de l'érosion
de la légitimité des autocrates africains à partir du moment où les
modèles économiques extérieurs entachèrent leur vision très
interventionniste de l'État. Au plan des influences extérieures délibérées Wiseman traite des conditionalités économiques et politiques mises en place afin :"… d'influencer les États africains"[3]. En réalité, ce sont les pressions mises sur ces États par les agences internationales afin de les rendre conformes aux programmes d'aide économique proposées. 1-
Le rôle des conditionnalités économiques L'ensemble
des conditions économiques à l'aide extérieure est symbolisée par l'établissement
de politiques d'ajustement structurel. Un des éléments centraux de ces
politiques est :"la réduction
de ce qui est perçu comme l'aspect négatif de l'intervention de l'État
dans l'économie"[4].
L'objectif de ces mesures économiques était l'essor monétaire et
productif des différents pays africains. Ces initiatives, souvent contestées
par les chercheurs de gauche, voulaient permettre à l'Afrique de sortir
du marasme dans lequel elle était embourbée. Une des conséquences
de ces mesures agit sur le plan politique. En effet, c'est la vision de
l'organisation étatique qui fut ainsi modifiée. Traditionnellement, en
Afrique, les régimes politiques, pour la plupart issus de la décolonisation,
étaient très interventionnistes en matière d'économie. Or, l'avènement
des politiques d'ajustements structurels vinrent réduire le rôle de l'État.
Les dirigeants en place, souvent très autoritaires, perdirent alors de
leur pouvoir :"Les élites au
pouvoir, qui avaient profité de leur mainmise sur l'économie pour
pouvoir tisser un réseau de relations de type clientèliste, ont vu leur
position affaiblie par la réduction du rôle de l'État"[5].
Dans la réalité, c'est tout le système du copinage et du népotisme qui
fut affecté par le désengagement économique de l'État africain.
Wiseman parle d'une véritable crise au sein de la classe dirigeante de
certains pays. Les politiques
d'ajustements structurels ont favorisé les campagnes aux dépens des
villes (privilégier l'agriculture, au début, et non l'industrialisation
rapide). Cela a occasionné un affaiblissement du support aux régimes
dictatoriaux dans les grandes métropoles. Ces tensions existaient
auparavant mais les conditionalités économiques les ont exacerbées.
Wiseman dit que l'Afrique était un terreau fertile pour une plus grande démocratisation,
que ces tendances n'attendaient qu'à pouvoir s'exprimer. À ce niveau,
les conditionalités économiques auraient agit comme un catalyseur. Bien entendu, les
influences économiques n'ont pas tout fait seules. Néanmoins, il ne
serait pas convenable de les omettre. Cette situation rejoint bien l'idée
qui dit que pour qu'une démocratie s'épanouisse, elle a besoin d'États
qui fonctionnent bien sur le plan économique. C'est un effet que l'on
recherche des politiques d'ajustements structurels. Leur mise en place
s'inscrit dans un courant idéologique qui favorise les forces du marché
de concert avec le pluralisme démocratique. L'Afrique est ici
un cas intéressant. En effet, ce sont souvent les échecs économiques
qui ont incités les pressions internes favorisant la démocratisation de
la société. Toutefois, ce n'est que le succès économique sur une période
longue qui pourra témoigner de la consolidation des réformes politiques[6]. 2-
Le rôle des conditionnalités politiques Après
la fin de la guerre froide, on assiste à des modifications dans les critères
d'aide aux pays africains. Si auparavant le système économique dictait
les conditions de l'aide fournie par les agences internationales :"les considérations politiques devenaient de plus en plus
importantes dans le processus de décision"[7].
Cette orientation venait du constat d'échec du fait de se limiter
strictement aux aspects de conditionalité économiques. On a raffermit
l'idée que le développement démocratique devait allé de pair avec le développement
économique afin d'obtenir des changements souhaitables et durables en
Afrique. À ce chapitre,
Wiseman insiste sur le fait que ce ne sont pas les agences extérieures
qui ont inventé la réforme politique en Afrique. Qui plus est, il
affirme que :"je ne peux pas
penser à un seul cas en Afrique où la pression externe pour des réformes
politiques … n'ait pas été précédée d'une pression interne
suffisamment significative"[8].
Une telle affirmation renforce le concept du terreau fertile pour des
bouleversements politiques et économiques en Afrique. De même, on conçoit
alors que les peuples africains n'ont pas été que passif dans le
processus de démocratisation mais que, bien au contraire, ce serait leur
mouvance qui l'aurait permise. L'auteur va plus
loin en ce domaine. Il indique que les agences extérieures se seraient
montrées prudentes en raison de la nouveauté du phénomène et de la
crainte de perdre le contrôle de la nouvelle démocratisation africaine.
Le support aux mouvements de démocratisation a donc été donné à pas
feutrés seulement. Wiseman parle du soutien à la gouvernance et non à
la démocratie. Autrement dit, on aurait préférer rehausser la légitimité
du domaine public plutôt que de procéder à une promotion démocratique
en bonne et due forme, voire plus radicale. Cette situation a ajouter un
flou à la situation africaine en ne fournissant pas un support absolu à
la démocratisation. Selon Wiseman
:"les conditionalités
politiques ont joué un faible rôle dans le soutien au changement mais
que, dans certains cas, la contribution a été décisive pour atteindre
le résultat"[9].
On note ici la grande variété dans les processus de démocratisation en
Afrique. En effet, cette contribution n'a pas eu un impact majeur partout.
L'auteur cite l'exemple du Kenya et du Malawi pour justifier cette thèse
et montrer que des pressions externes ont pu, à un moment ou à un autre,
faire une véritable différence. Dans cette même
veine, on peut affirmer que la démocratie n'a pas été imposée en
Afrique par les conditionalités politiques. En effet, une base interne
devait exister pour qu'un espoir d'ancrage démocratique si faible soit-il
puisse exister. D'autant plus que, dans l'ensemble des sociétés civiles
africaines, certaines forces ne veulent pas de la démocratisation et préfèrent
ne pas modifier le rapport de force établi. Cette analyse rejoint le
postulat de base de l'auteur. La nouvelle démocratisation en Afrique a eu des effets positifs sur le plan économique. Le pluralisme politique installé à certains endroits a amené une multiplication des vues et des modes de solution proposés. Au plan économique, des bourdes monumentales furent ainsi certes évitées par l'ouverture des sphères politiques nationales :"La possibilité de critiquer ouvertement la politique gouvernementale n'efface pas les erreurs mais les rend plus improbables"[10]. Bien entendu, la démocratie n'est pas un produit miracle pour un essor économique soutenu et durable mais il peut en être un ingrédient essentiel. L'analyse
de la démocratisation en Afrique vise à mieux comprendre quelle forme la
nouvelle démocratie africaine devrait prendre. À ce niveau, Wiseman évalue
par ordre d'importance les critères démocratiques à consolider en
priorité. Pour lui,
c'est le multipartisme qui est le facteur le plus important à long terme.
En outre, il est celui qui permet l'expression de vues divergeantes et un
brassage d'idées porteur d'un dynamisme renouvelé dans la société
civile. Également, l'auteur place en haute estime la tenue d'élections
libres, surveillées étroitement par des agences et organismes extérieurs.
Cette condition va de pair avec le multipartisme et il en permet le
fonctionnement légitime. Wiseman n'apprécie
pas beaucoup les idées de "démocratie à l'africaine". Selon
lui, ce concept est dangereux car il pourrait mener à une reproduction
des régimes fortement autoritaires. À ce propos, il rappelle ce
processus qui s'est déjà matérialisé au lendemain de la quête des indépendances
nationales. Pour lui, la démocratie africaine doit s'inspirer de celle
faite ailleurs et respecter ses préceptes fondamentaux minimaux. L'auteur
craint l'adaptation trop large du terme de démocratie à l'Afrique de
craint de le voir dénaturé. Considérant que la démocratie n'est pas un
état fixe mais évolutif, Wiseman estime que :"Surveiller
et réévaluer la démocratie en Afrique devrait constituer une part
importante des conditionalité politiques"[11]. En conclusion,
Wiseman estime que les liens entre la démocratisation et les conditions
économiques et politiques sont assez étroits et que leur développent de
concert est le meilleur gage de succès des États africains dans le
futur. Le
texte de Wiseman est rédigé dans un style limpide et sans équivoque. La
division du texte, bien qu'un peu escamotée, est assez simple et permet
de bien cerner la pensée de l'auteur. L'approche
analytique de Wiseman est pertinente car elle nous force à comprendre
l'interdépendance entre les concepts politiques et économiques dans
l'ensemble du processus de démocratisation. Sa vision globale de
l'Afrique est une force car il traite de phénomènes généraux et de
l'application pratique de grands modèles à de grands ensembles géopolitiques.
En ce sens, son approche ressemble de près aux approches classique en
matière de théories du développement. Ces perspectives tendent à
universaliser, dans une certaine mesure, l'impact de quelques variables
ciblées. Ici, par exemple, existence d'une mouvance pro-démocratie, libéralisation
de l'économie, incitation à l'ouverture politique et, éventuellement, démocratisation.
Ces éléments sont vus dans un continuum. Wiseman se sert de cas précis
(Kenya et Malawi) pour étayer sa thèse. En demeurant au
niveau d'analyse général, l'auteur n'entend pas entrer dans le détail
du processus au cœur de chaque État distinct. Wiseman fait parfois des généralisations
mais celles-ci ont pour but de nous faire saisir l'ensemble d'un phénomène
et de son expression. La manière dont il présente l'articulation entre
les facteurs économiques et politiques et leur impact est très réussie.
En effet, il est possible pour le lecteur de comprendre un argumentation
complexe car elle est présentée d'une façon générale et simple. Cet apport
intellectuel est pertinent en ce début de siècle alors que l'Afrique est
à un carrefour au niveau de sa démocratisation. Il est important de
comprendre les mécanisme d'établissement des régimes prospères et
libres afin que les forces progressistes au sein des États africains
puissent s'en inspirer. C'est seulement de cette manière qu'elles
pourront actualiser leur potentiel. L'angle d'analyse
du texte n'a cependant pas uniquement que des qualités. En effet, Wiseman
n'élabore que très peu sur des cas spécifiques. À mon sens, son
article devrait être complété par une étude de cas sérieuse et représentative
de la réalité africaine. Il reconnaît le dynamisme des populations
africaines mais ne fait que peu de cas des endroits où il ne s'est pas
exprimé dans la direction d'une démocratisation accrue. En réalité, la
généralisation à la base de son article est peut être un peu exagérée.
Il semble dire que si certaines conditions sont réunies, un effet prévisible
se manifestera presque inévitablement. Or, on sait que ce n'est pas nécessairement
le cas. Cette faiblesse du
texte est convenable compte tenu de l'approche très générale choisie
par l'auteur. Certains éléments demeurent toutefois ambigus. Par
exemple, il ne parle que peu spécifiquement des "agences extérieures".
À plusieurs reprises dans le texte, il emploi ce genre de termes très général
qui masque un peu une myriade de cas d'espèces qui peuvent avoir un
impact significatif. Encore une fois, une étude de cas poussé serait
essentielle afin de se documenter sur la nouvelle démocratisation en
Afrique. Au moment où le continent noir s'apprête à s'engager dans de nouvelles voies, l'étude de Wiseman est intéressante. L'Afrique a une nouvelle chance de se démocratiser et on a besoin de modèles généraux pour bien comprendre cette situation. L'impact des conditionalité est crucial pour mieux saisir ce que nous pouvons faire afin de faciliter l'ouverture des sociétés africaines via une aide aux élites démocratiques locales. Les prochaines années seront déterminantes et donneront peut être naissance à de nouveaux modèles pour expliquer la démocratisation des sociétés et des pays en développement. [1] Wiseman, p.459. [2] p. 460. [3] p. 464. [4] p. 466. [5] p. 467. [6] p. 469. [7] p. 469. [8] p. 469. [9] p. 471. [10] P. 474. [11] P. 478.
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