L’étude
de la démocratie et de la démocratisation a pris une importance considérable
en Politique comparée au cours des vingt dernières années. On s’interroge
sur l’origine, la forme, la qualité et la viabilité de la démocratie. La
raison ce cet engouement vient des vagues de démocratisation auxquelles nous
avons assistées depuis le milieu des années soixante-dix en Europe du Sud, en
Amérique latine, en Asie et, plus tard, dans des régions qui n’avaient
aucune tradition démocratique comme l’ex-Union soviétique, l’Europe de
l’Est et l’Afrique.
Les
deux textes étudiés proposent une analyse épistémologique de l’étude des
démocratisations en politique comparée. Le texte de Valerie Bunce se veut
comme une étude des généralités portant sur les démocratisations que l’on
retrouve dans l’ensemble des analyses comparatistes. Le texte de Luc Sindjoun
se concentre lui sur une région précise étudiée en politique comparée, l’Afrique,
et se présente comme une critique épistémologique de l’analyse des
transitions dans cette région.
I-
L’étude des
transitions démocratiques dans le monde en Politique comparée (Bunce)
Valerie
Bunce s’arrête dans un premier temps sur ce qu’elle appelle les « îlots
de consensus » de la discipline, c’est-à-dire les idées sur lesquelles
la plupart des chercheurs se retrouvent quant à l’explication des processus
de démocratisation dans les nouvelles démocraties. Par la suite, elle discute
de l’approche que j’appellerais « régionale » de la démocratisation,
c’est-à-dire du fait que les politologues semblent pour la plupart analyser
les processus de démocratisation dans un contexte régionaly.
A-
Les « îlots de
consensus »
Ainsi
selon Bunce, la littérature est très diverse en ce qui concerne l’analyse de
la démocratisation. Les analystes divergent quant aux origines, quant à la
qualité ou la viabilité des nouvelles démocraties. Il y a cependant d’après
elle certains points sur lesquels tout le monde ou prersque se retrouve, et ce
pour tous les types de transition démocratique auxquels nous avons assisté
dans le monde de puis les années soixante-dix. Valerie Bunce en a compté cinq.
En premier lieu, il s’agit de la relation entre le développement économique
et la démocratisation ; il y a une corrélation entre le niveau de développement
et la garantie de continuité démocratique. En second lieu, il s’agit de la
relation entre démocratisation et les élites politiques ; les élites
politiques représentent une pièce maîtresse dans le processus de démocratisation,
ainsi que dans la consolidation ou l’effondrement de la démocratie. Ensuite,
la relation entre le système politique et la continuation de la démocratie :
les régimes démocratiques parlementaires semblent plus à même de survivre
que les régimes présidentiels. De plus l’existence d’une identité
nationale apparaît essentielle à la qualité voire à la survie de la démocratie.
Enfin, la faiblesse de l’État de droit est également un obstacle à la démocratisation.
La
relation entre le développement économique et la démocratie est un sujet
ancien, nous dit Bunce. Le niveau de développement semble avoir un impact
considérable sur l’existence même de la démocratie, mais aussi sur sa
viabilité à long terme. La démocratie peut apparaître dans les pays pauvres
autant que dans les pays riches, cependant ses chances de durer dépendent
grandement du niveau de développement économique. Pour exemple, on constate
que parmi les pays ex-communistes, ceux qui réussissent le mieux la transition
démocratique sont ceux qui réussissent le mieux la transition économique, et
globalement ce sont les pays au revenu par habitant le plus élevé qui ont une
démocratie consolidée, même s’il y a des exceptions dues à des situations
particulières. Cela étant, si cette constatation ne pose pas de problèmes,
les analystes divergent sur l’explication d’une telle corrélation. Pour
certains, une croissance soutenue renforce la densité d’une société civile
capable de défier le pouvoir autoritaire et ainsi d’affaiblir la base de son
pouvoir ; elle permet aussi l’émergence d’une classe moyenne et
d’une opinion publique instruite et désireuse de se faire entendre. Pour
d’autres, une économie de marché arrivée à maturité facilite les
compromis démocratiques entre les classes laborieuses et les classes possédantes.
Enfin d’autres encore voient plus simplement dans la croissance économique
l’étape historique naturelle préparant à l’avènement à la fois du
capitalisme et de la démocratie, telle que l’ont connue jadis les pays
occidentaux.
Tout
le monde s’accorde également pour dire que les élites jouent un rôle
central dans la démocratisation. Le fait qu’il y ait une transition démocratique
« semble dépendre grandement des intérêts, des valeurs et des actions
des leaders politiques ». Bunce note toutefois que le comportement des élites
dans le processus est dans certains cas (elle cite l’Espagne et la Pologne)
fortement influencé par l’opinion publique. Les élites ont aussi un rôle
dans la continuation de la démocratie comme dans sa disparition. Ce sont les élites
qui créent les institutions démocratiques, et elles peuvent utiliser leur
pouvoir en cas de crise pour protéger la démocratie comme pour la détruire.
Cela dit, précise Bunce, quand une démocratie s’effondre, il est rare que
les élites en soient les seules responsables, cela est souvent du à de
multiples facteurs.
Les
choix institutionnels ont aussi de grandes conséquences quant à la viabilité
des démocraties. Les analystes sont presque unanimes pour dire que la
consolidation, voire la survie même, de la démocratie est plus probable dans
le cadre d’un régime parlementaire que dans le cadre d’un régime présidentiel.
Empiriquement, on le constate dans toutes les nouvelles démocraties. Les
analystes suggèrent que les régimes présidentiels apparaissent dans les pays
où il y a une forte tradition autoritaire.
Bunce
se réfère à Rustow pour affirmer que des frontières bien établies et un
sentiment national fort sont des conditions pour une démocratisation réussie.
L’exemple des anciens pays socialistes et des pays africains le démontre
amplement. Quand la nation est remise en question, la démocratie aura du mal à
se matérialiser et de ce fait, à durer. Cela étant, la composante d’une
population n’influe pas sur la réussite ou non d’une transition. Des pays
ethniquement homogènes peuvent très bien échouer là où des pays
ethniquement hétérogènes réussissent. Par ailleurs les États nouvellement
indépendants n’ont pas moins de chances de réussir ; ceux qui ont connu
jadis l’indépendance et dans lequel il existe un consensus populaire quant à
l’identité nationale sont plus à même de réussir. Quant au nationalisme en
tant que tel, il n’influe pas sur le succès d’une démocratisation, car
selon les cas il peut être facteur d’unité comme de fragmentation.
L’existence
d’un état de droit aide également à la démocratisation. Les pratiques
informelles comme la corruption, ou le manque de transparence, sont des
obstacles à une démocratisation à grande échelle, comme on a pu le constater
en Amérique latine, en Europe de l’Est et en Afrique. En reprenant l’idée
de Przeworski, elle conclue que la démocratie n’entraîne pas nécessairement
la gouvernance démocratique.
B-
L’importance de
l’approche régionale
Le
second propos de l’article de Bunce concerne l’approche régionale des
comparatistes en matière de transition démocratique. Il semblerait que des
aspects comme la sortie de l’autoritarisme, l’approche de la démocratisation,
les obstacles à la démocratisation ou la relation entre la démocratisation et
les réformes économiques possèdent des caractéristiques régionales. Bunce
propose de discuter cette approche.
Selon
elle, l’essentiel des études comparatives portant sur les nouvelles démocraties
se concentre sur des régions précises : Amérique latine, Europe du Sud,
Europe de l’Est, Afrique, Asie… Des raisons à la fois contraignantes et
pratiques poussent les analystes à concentrer leur recherche sur la comparaison
entre un pays d’une région avec d’autres pays de cette même région. Il
semble en effet que les régions divergent par certains détails importants dans
la façon d’effectuer une transition démocratique. On peut constater qu’en
Amérique latine et en Europe du Sud, le mode de transition s’effectue à
travers une alliance entre les élites autoritaires et les forces de
l’opposition, ce qui explique la rapidité des transitions dans ces régions-ci.
Au contraire, on constate que dans le monde ex-communiste et en Afrique les
transitions s’effectuent au travers d’importants mouvements populaires et de
l’effondrement du régime.
La
relation entre réforme économique et transition varie également selon les régions.
Dans les pays du Sud, les réformes peuvent, selon les analystes, saper le
processus démocratique en le déstabilisant, et suggèrent ainsi d’attendre
que le processus soit accompli avant d’entamer des réformes. En Europe de
l’Est au contraire on constate une corrélation entre les réformes économiques
et les réformes démocratiques. Dans cette région, les démocraties consolidées
ont toutes une économie de marché, alors que les pays qui ont conservé un
caractère autoritaire ont moins progressé dans les réformes. L’explication
est que dans cette région il y a eu consensus autour du rejet du communisme, et
que le lien entre capitalisme et démocratie apparaît comme évident. De plus
le passage au capitalisme a bouleversé les rapports de force, et certains
perdants d’hier se sont retrouvé gagnants.
Comme
on l’a vu, la faiblesse de l’état de droit est une menace importante pour
la démocratie. Cependant cette faiblesse prend différentes formes selon les régions.
Les anciens pays socialistes ont hérité d’une population instruite, d’une
relative égalité socioéconomique, d’une tradition de pouvoir civil
s’imposant aux militaires, mais ils ont aussi hérité d’une société
civile faible et d’une économie inefficace. De leur côté les nouvelles démocraties
latino-américaines ont l’avantage d’avoir déjà connu des expériences démocratiques
ayant laissé quelque héritage, de pratiquer l’économie de marché depuis
longtemps et de connaître pour la plupart un niveau de développement économique
assez élevé. Mais elles sont menacées par le poids des militaires, les fortes
inégalités socio-économiques et l’importance des mouvements populistes de
droite. En Asie, elles sont plutôt menacées par l’attitude des populations
face à une insécurité régionale. En Afrique, nous avons affaire à la
faiblesse de l’État, la corruption et le manque d’adéquation entre les
politiques menées et les réalités socioéconomiques et institutionnelles.
Mais
on peut être sceptique quant au caractère régional des récentes démocratisations.
D’abord les comparatistes n’étudient en général que dans une seule région,
notamment pour des raisons de coût. De plus les études régionales tendent à
développer leurs propres concepts et leurs propres sujets de recherche :
s’il y a des différences régionales, ce n’est pas seulement pour des
raisons empiriques amis aussi parce que peu de gens transcendent les frontières
régionales dans leurs études. Par ailleurs il est difficile de définir une région.
Selon King, le terme de région est un terme générique à volonté pratique :
l’analyse régionale est utile pour expliquer certains aspects des démocratisations,
mais pas tous. De plus les limites d’une région sont relativement élastiques,
la région variant trop selon l’époque et le sujet de recherche. Cependant
Bunce précise que le sens de la région est resté relativement le même en
politique comparée pour les démocratisations.
II-
L’étude des
transitions démocratiques en politique comparée : le cas de l’Afrique (Sindjoun)
Si
le texte de Bunce traitait de l’analyse des démocratisations en général,
celui de Luc Sindjoun se concentre plus particulièrement sur le cas de
l’Afrique.
A-
Critique des analyses
dichotomiques répandues en Politique comparée
Le
premier propos de Sindjoun est de contester les grilles théoriques utilisées
en politique comparée pour étudier les transitions démocratiques africaines.
Il dénonce les dichotomies auxquels font appel nombre de chercheurs, qu’il
juge trop simplistes. D’abord il n’y pas selon lui d’opposition entre la démocratie
par le haut et la démocratie par le bas. La démocratisation implique une
transaction entre acteurs ; elle implique la création de nouvelles normes
politiques par différents acteurs ayant des positions et des ressources différentes.
La démocratisation dite « par le haut », c’est-à-dire la
situation dans laquelle les élites politiques de l’ancien système restent en
place durant la transition, n’est pas une pseudo-démocratisation. Le « haut »
ne peut en effet renvoyer à une catégorie homogène. La transition est ainsi
une crise politique qui accélère l’hétérogénéité des élites :
courant progressiste dans un parti unique ou émancipation du parlement comme au
Cameroun. Quant au « bas » il est nécessairement présent dans le
cadre de la démocratisation « par le haut », à travers les
pressions populaires. Ainsi démocratie « par le haut » ne veut pas
dire contrôle total du processus « par le haut ». Si elle procède
de calculs et de stratégies personnelles, elle n’est pas rationnelle mais
plutôt, selon Sindjoun, raisonnable car découlant de pratiques compréhensibles
en regard du contexte.
Il
n’y pas non plus lieu de faire une différence entre les démocrates « par
conviction » et les démocrates « par nécessité » car on ne
peut mesurer le degré de sincérité d’un acteur politique. Il vaut mieux
s’intéresser à la façon dont la société oblige les acteurs à devenir démocrates.
La démocratisation est un processus qui transforme les acteurs sociaux. Peu
importe si la conversion à la démocratie est feinte ou sincère. Ensuite on ne
peut faire de distinction entre les facteurs externes et internes de la démocratisation :
certains analystes voient la démocratisation comme procédant de l’extérieur
alors que d’autres pensent qu’elle dérive de logiques internes aux pays
africains. Les pressions exercées par les pays occidentaux sur les pays
africains sont indéniablement des facteurs de la démocratisation et que la fin
de la Guerre froide a eu des répercussions importantes. Les logiques internes
selon l’auteur doivent s’envisager dans le contexte de l’interdépendance
accrue des sociétés, le contexte de la mondialisation des idées, des valeurs
et des normes gouvernementales. Il faut combiner la dynamique mondiale avec les
dynamiques locales.
Il
ne faut pas non plus opposer universalisme démocratique au relativisme
culturel. Selon les relativistes la démocratisation est un modèle importé et
artificiel et, quoi qu’il en soit, incompatible avec la culture africaine.
C’est un point de vue douteux selon Sindjoun car il ne prend pas en compte les
luttes politiques indigènes en faveur de la démocratie et la capacité à
africaniser le modèle occidental. La démocratisation est une activité sociale
que les acteurs dotent d’une signification : ainsi la démocratie
consociative est une réponse aux divisions ethniques et régionales. On assiste
à des régimes de compromis entre les idéaux occidentaux et la réalité
africaine. Enfin l’idée d’une rupture radicale entre le passé et le présent
est à bannir. Le passage de l’autoritarisme à la démocratisation en Afrique
doit être analysé dans le cadre, nous dit Sindjoun, « de la continuité
et de la discontinuité ».
B-
L’approche « machiavélique »
de la transition en Afrique
Dans
son second propos, Sindjoun propose de recourir à Machiavel pour l’analyse
des transitions démocratiques afin de casser avec l’approche enchanteresse,
selon ses termes, de la démocratisation, et de souligner le caractère logique
de la transition. Il s’agit de comprendre le sens concret de la démocratisation.
Le recours à Machiavel a l’avantage de se baser sur l’observation précise
des faits, il permet de considérer la transition comme autre chose qu’un
moment « doté de bonté et d’évidence » (J. Leca). Il s’agit
de considérer la démocratisation comme une contrainte de situation et un
moment de luttes politiques. Sindjoun appelle cela la théorie réaliste ou écologique
de la démocratisation.
Sindjoun
envisage dans un premier temps la démocratisation comme une logique de
situation se situant dans le cadre d’une justification publique par le
pragmatisme et l’opportunisme des acteurs. La démocratie est alors un objet
« bricolé », un équilibre de tensions produit et subit par les
acteurs. Il s’agit en fait pour les acteurs d’adopter des comportements en
phase avec l’air du temps ; la logique de situation renforce la
probabilité de démocratisation. Il n’y pas selon l’auteur de « héros »
de la démocratisation, il n’y a que la prise en compte d’une conjoncture
critique amenant à la transformation des régimes politiques. Ainsi au début
des années 90 a-t-on assisté à une conjoncture favorable à la démocratisation
sur le plan interne comme sur le plan international. La conjoncture
internationale se composait de la conditionnalité de l’aide politique (en
particulier les menaces d’arrêt d’aide au développement), de la
circulation des idées libérales (notamment au travers des institutions financières
internationales), de l’interdépendance des société etc. Ainsi la démocratisation
est devenue une modalité de légitimation internationale des régimes
politiques africains. La contrainte interne se caractérisait notamment par des
mobilisations multisectorielles contre les régimes en place.
Dans
le but expliquer l’attitude des acteurs, Sindjoun se réfère à la
dialectique du lion et du renard établie par Machiavel, où le lion incarne la
force et le renard la ruse. La ruse est utilisée par les élites dirigeantes
pour capter le processus démocratique, et se convertir bon gré, mal gré à la
démocratie : elles vont même jusqu’à s’en faire les gardiens ou les
géniteurs. Au Bénin, Kérékou a convoqué une « conférence des forces
vives de la nation » afin de contrôler le processus. Au Cameroun, la ruse
consiste à tenir un discours de libéralisation « graduelle et
responsable » afin de rendre hors-la-loi toute conférence nationale. La
ruse est également utilisée par les forces de l’opposition, car à travers
l’instauration de « conférences nationales », elles se réclament
du peuple sans être élues, usurpant ainsi la qualité de représentants du
peuple. Quant à la force, elle est mise en œuvre par le contrôle des forces
armées comme au Togo ou par la mobilisation des forces de l’ordre comme au
Cameroun. Du côté de l’opposition, on organise des insurrections ou des
attaques contre des édifices publics ou des actions « villes mortes »
comme au Cameroun. Ainsi les logiques de situation expliquent la démarche des
acteurs politiques.
Selon
Sindjoun, on ne peut pas envisager la démocratisation autrement que comme un
cadre de lutte pour le pouvoir. Mais la démocratisation n’est pas une forme
de domination comme une autre en ce sens qu’elle se veut légitime, c’est-à-dire
acceptée par le peuple, d’où l’existence de démocraties dites « illibérales »
(F.Zakaria), ignorant les droits de l’homme et l’État de droit. La lutte de
pouvoir se caractérise en Afrique par la compétition électorale, la formation
de coalitions et l’alternance au sommet de l’État, la formation d’une
classe de professionnels de la politique. La lutte pour le pouvoir est, selon
Sindjoun, au cœur des transitions démocratiques africaines.
Quant
à la parlementarisation, elle constitue un processus social contrôlé par l’État
en vue de la lutte politique pacifique, du bannissement de la violence physique
dans la vie politique. On a pu constater ce processus au Bénin et à
Madagascar. Mais l’élection comme mode d’accès au pouvoir n’a pas pacifié
entièrement la société politique à cause de la contestation permanente des règles
du jeu et du résultat des élections. La parlementarisation est ici encore
fonction des rapports de forces.
III-
Remarques conclusives
Après
avoir étudié des deux textes, on peut ajouter qu’ils proposent tous deux des
outils méthodologiques quant à l’analyse de la transition démocratique.
Pour
Bunce le terme « démocratisation » est discutable, car il se réfère
à un objectif global, et on l’a souvent trop rapidement utilisé dès qu’un
régime autoritaire était menacé. De même pour Sindjoun, ce que l’on
appelle « transition démocratique » est un terme générique et
uniformisant désignant des processus politiques divers. C’est pourquoi il
propose le terme de « transition politique » plutôt que « démocratique »,
car il ne préjuge pas l’issue du processus ou la nature du changement. Il
propose de rompre avec l’approche objectiviste pour mieux comprendre la
complexité du processus politique.
Les
deux auteurs considèrent les nouvelles démocraties comme des régimes hybrides
alliant des éléments autoritaires à des éléments démocratiques. Bunce relève
que les nouvelles démocraties ont des résultats incertains et affirme qu’il
faut insister sur la qualité et la viabilité de la démocratie dans l’étude
des transitions, qu’il y a plusieurs voies qui conduisent à la démocratisation,
celle-ci pouvant être le fruit d’une évolution historique ou alors entièrement
planifiée et enfin qu’il ne faut pas confondre État et régime. Pour
Sindjoun la démocratisation doit s’analyser dans le temps, afin d’éviter
d’apprécier trop hâtivement les processus politiques en cours comme cela a
été le cas pour le Niger et le Congo. C’est, dit-il, l’épreuve du temps
qui révèle l’ancrage de la démocratisation. Mais le recul historique ne
saurait être seul facteur de vérité, car il faut aussi prendre en compte le
contexte et les innovations démocratiques.
Ces
deux textes se rejoignent ainsi sur plusieurs points, même si celui de Sindjoun
porte uniquement sur l’Afrique. Cependant si le texte de Bunce semble traduire
une volonté de recul par rapport à analyse des démocratisations en politique
comparée, le texte de Sindjoun paraît plutôt refléter le point de vue
d’une école de pensée particulière.