Toujours plus bas … pour le mieux

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Claude Viau, Département de santé environnementale et santé au travail, Université de Montréal, C.P. 6128, succursale Centre-Ville, Montréal (QC) Canada, H3C 3J7, Publié dans Travail et santé 26 (1) : 33, 2010

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En 1946, l’ACGIH adoptait une valeur limite d’exposition au styrène de 400 ppm. En 1997, cette valeur était passée à 20 ppm. Au cours de la même période, la valeur limite recommandée pour le benzène est passée de 100 ppm à 0,5 ppm. On pourrait faire l’exercice avec de nombreuses autres substances. Toutes ne présenteraient pas une diminution de 95 % et plus, comme c’est le cas avec le styrène et le benzène. Toutefois, il est probable que toutes montreraient des réductions substantielles de leur valeur limite d’exposition. Les composés chimiques ne sont pourtant pas plus toxiques aujourd’hui qu’il y a 50 ans. Qu’est-ce qui explique ces réductions? En grande partie, de meilleures connaissances scientifiques sur la toxicité des produits. On ignorait en 1946 que le benzène était un cancérogène capable d’induire des leucémies myéloïdes aiguës. Dans le cas du styrène, la réduction est largement due à des développements de tests de plus en plus sensibles, aptes à mettre en évidence de subtiles modifications de la biochimie ou de la physiologie de l’organisme. Cette subtilité des effets peut parfois expliquer les différences de valeurs limites proposées ou fixées règlementairement par les organismes. Untel expert considérera qu’une perturbation réversible de la vision des couleurs par exemple ne doit pas être retenue comme effet sanitaire « significatif ». Un autre expert argumentera au contraire qu’en évitant la survenue de ces perturbations précoces, on s’assure de protéger les travailleurs et les travailleuses d’effets pathologiques plus sérieux. Certains organismes encore ont par ailleurs proposé d’examiner la concentration atmosphérique de tel composé dans les entreprises qui ont les meilleures pratiques d’hygiène. On en fait ensuite une valeur repère que les autres entreprises du même secteur industriel sont invitées à imiter ou à abaisser davantage. On s’engage ainsi dans une sorte de spirale descendante des concentrations atmosphériques auxquelles les travailleurs et travailleuses sont exposés. En rêvant un court instant, cela nous amènera peut-être un jour à des valeurs limites qui correspondront à la contamination de l’air  à laquelle la population générale est exposée. On cessera ainsi de considérer que, parce qu’ils sont supposés plus robustes et parce qu’ils obtiennent une rémunération pour leur travail, il est acceptable que les personnes œuvrant en milieu professionnel soient davantage exposées à des polluants que la population générale. Les plus belles réalisations commencent souvent par un rêve…

 

Claude Viau