Séisme chez les scientifiques

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Claude Viau, Département de santé environnementale et santé au travail, Université de Montréal, C.P. 6128, succursale Centre-Ville, Montréal (QC) Canada, H3C 3J7, Publié dans Travail et santé 28(4) : 20, 2012

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Sept scientifiques reconnus coupables et criminellement responsables de n’avoir pas prévu l’imprévisible? C’est ce qui semble transpirer des nouvelles relayées par les grands médias en ce mois d’octobre 2012. De quoi s’agit-il? Le 6 avril 2009, un puissant séisme cause la mort de plus de 300 personnes dans la ville d’Aquila en Italie. Il y a lieu de s’émouvoir de cette tragédie, bien sûr. Six jours avant cet événement, ces scientifiques s’étaient réunis dans cette ville suite à une série de secousses survenues dans la région et avaient conclu à l’impossibilité d’y prédire un puissant tremblement de terre. Après la survenue de la catastrophe, on leur a reproché d’avoir sous-estimé les risques auxquels la population était soumise, d’où le procès et la condamnation.

Analysons un peu cet événement, en reconnaissant d’abord que comme dans toute démarche scientifique rigoureuse, on ne peut juger adéquatement de cette nouvelle uniquement à partir de quelques entrefilets dans les médias écrits et dans Internet. Devant des menaces à la vie, à la santé et à la sécurité de la population, les gestionnaires de risque font habituellement appel à des experts. Ceux-ci portent un jugement professionnel éclairé par leurs connaissances, leur expérience et en partie par leur intuition.

Si les sept scientifiques incriminés n’ont pas fourni une information juste ou ont maquillé les faits devant eux parce qu’ils ont subi des influences externes, quelle qu’en soit la nature, alors sans doute méritent-ils le sort qui est le leur aujourd’hui. Si ces scientifiques ont fait preuve de laxisme en n’utilisant pas toute l’information à leur disposition pour préparer un avis éclairé, ils méritent de subir l’opprobre. Toutefois, s’ils ont donné un avis en toute sérénité à partir des données factuelles à leur disposition et qu’ils ont exercé leur jugement professionnel en toute conscience pour informer les gestionnaires de risque, alors il faut s’indigner de ce jugement.

Est-il possible que le tribunal italien qui a jugé ces experts ne comprenne rien de rien à la démarche scientifique et à la science des risques? Au rôle de la science dans l’éclairage qu’elle doit apporter à la prise de décision en faisant état des incertitudes[1]? Sommes-nous de nouveau devant une situation où le tribunal, comme souvent la population générale, considère que tout avis doit être dichotomique – est-ce dangereux, oui ou non – plutôt que nuancé? Quel sera l’impact de ce jugement sur la disposition qu’auront d’autres scientifiques à participer à des comités experts destinés à éclairer les gestionnaires de risque?

Selon toute apparence, il s’agit d’un bien triste moment dans l’histoire de l’apport de la science à la prise de décision éclairée.

 

[1] Viau, C. Le consensus scientifique et l’estimation des risques Travail et santé 27 (4) : 22, 2011