Risque et tolérance

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Claude Viau, Département de santé environnementale et santé au travail, Université de Montréal, C.P. 6128, succursale Centre-Ville, Montréal (QC) Canada, H3C 3J7, Publié dans Travail et santé 22: S1, 2006

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En matière de protection contre les risques pour la santé causés par la présence de substances toxiques dans notre environnement, les autorités de santé publique ont un rôle important à jouer. Une de leurs tâches principales consiste à déterminer, pour chaque contaminant et dans chaque milieu, quel est le seuil d’exposition à ne pas dépasser. Quels sont les facteurs pris en compte dans cette démarche? D’abord et avant tout, les données scientifiques sur la toxicité des substances et sur ce que les toxicologues appellent la relation dose-réponse. Celle-ci décrit le nombre de personnes affectées négativement par l’exposition selon les doses de ces contaminants. À partir de ces données, on peut établir le niveau d’exposition qui soit sans risque … ou presque. En effet, dans beaucoup de cas, il peut exister un risque résiduel résultant de l’exposition même à d’infimes doses d’un toxique. C’est ce qui fait dire généralement que le risque zéro n’existe pas. Mais alors, quel est le risque que nous sommes prêts à encourir? En corollaire, on peut aussi se demander qui décide quel risque nous sommes prêts à encourir et sur quelle base? Une foule de facteurs influencent notre tolérance aux risques. À titre d’illustration, un risque consenti est perçu comme plus tolérable qu’un risque imposé. Si je suis un fumeur – et selon mon niveau de consommation – j’accepte que mon risque de développer un cancer du poumon soit de plus de 1 pourcent, c’est-à-dire que sur un groupe de 100 fumeurs dont je ferais partie, au moins l’un d’entre nous devrait développer un cancer du poumon au cours de sa vie. Je considère cela tolérable parce que je m’impose ce risque à moi-même. Par contre, si ce risque m’est imposé par d’autres, par exemple si des substances cancérogènes sont relâchées dans l’environnement par une industrie, alors un risque de 1 % devient inacceptable. En santé publique, on établit souvent ce seuil de risque tolérable – on dit aussi parfois acceptable – à un par million. Concrètement, cela signifie que si un million de personnes étaient exposées à la dose jugée tolérable par les autorités de santé publique pendant toute leur vie, on estime que l’une d’entre elles développerait un cancer. Il importe de noter ici qu’il s’agit d’une prédiction comportant souvent une énorme incertitude. Mais à l’heure où l’éthique occupe une place grandissante dans nos mécanismes de prise de décision, certaines autorités de santé publique ressentent la nécessité de mettre en place des mécanismes de consultation et de concertation sur ce que « la société » considère comme tolérable plutôt que d’imposer un seuil de tolérance. Ce débat sur nos valeurs interpelle aussi les scientifiques, qui devront présenter de façon claire les hypothèses et incertitudes attachées aux prédictions du risque.