ASPECTS ÉTHIQUES DE L’APPRÉCIATION DU RISQUE TOXICOLOGIQUE

Un coup d’œil personnel

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Claude Viau, Département de santé environnementale et santé au travail, Université de Montréal, C.P. 6128, succursale Centre-Ville, Montréal (QC) Canada, H3C 3J7, Publié dans BULLETIN D’INFORMATION EN SANTÉ ENVIRONNEMENTALE – Septembre 2010

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Planter le décor

En 1958, la cour fédérale américaine obligea la Food and Drug Administration (FDA) d’interdire l’ajout dans la nourriture de toute substance cancérogène. Cet arrêté est connu sous le nom de la clause Delaney du nom du parlementaire qui en a fait la promotion :

Aucun additif ne sera considéré sûr s’il induit le cancer chez l’humain ou chez l’animal ou encore si des tests appropriés pour l’évaluation de la sûreté d’additifs alimentaires montrent qu’il peut induire le cancer chez l’humain ou chez l’animal. (traduction libre)

Dans les années qui suivirent se posa la question de l’évaluation de la présence de telles substances cancérogènes dans la nourriture. Déjà diverses méthodes d’analyse présentaient des limites de détection différentes et la technologie se développant, on allait être en mesure de déceler des quantités de plus en plus faibles de ces substances dans la nourriture. Prenons ici un raccourci avec l’histoire pour dire que la FDA et plus tard l’Environmental Protection Agency (EPA) allaient tenter de définir un niveau de risque appelé de minimis, c’est-à-dire considéré comme « négligeable ». Ils trouvaient cette approche plus raisonnable que l’application aveugle de la clause Delaney. C’est là qu’on retrouvera le fameux niveau de risque dit acceptable à un cas d’excès de cancer par million d’individus, parfois appelé le risque 10-6. Puisque la notion même d’acceptabilité du risque n’est pas une notion scientifique, mais qu’elle doit faire l’objet d’un débat social et politique, l’EPA décida éventuellement de parler des doses ou des concentrations entraînant des niveaux de risque à 10-4, 10-5 et 10-6. En présentant ces données objectives, quoique sujettes à caution en raison de l’incertitude qui entoure les hypothèses menant à ces valeurs, l’EPA évitait de se prononcer sur l’acceptabilité du risque pour la population.

La nécessité de procéder à une analyse systématique et le plus possible harmonisée et cohérente des informations scientifiques en vue de l’établissement de doses de référence ou associées à des niveaux de risques donnés se faisait toutefois patente. Elle conduisit à la publication en 1983 du « livre rouge » de l’appréciation du risque. Près de 15 ans plus tard, une commission du Congrès américain publia un cadre pour la gestion du risque en santé environnementale3. Trois ans après, c’était au tour de Santé Canada de publier son « Cadre décisionnel de Santé Canada pour la détermination, l’évaluation et la gestion des risques pour la santé ». Encore trois ans de plus et ce fut au tour de l’INSPQ de publier en 2003 son « Cadre de référence en gestion des risques pour la santé dans le réseau québécois de la santé publique ».

Le grand mérite de ces divers documents est de réduire la part de l’arbitraire dans le processus d’appréciation et de gestion des risques pour la santé de la population. L’application de cette démarche au quotidien fait toutefois ressortir plusieurs questions d’ordre éthique sur lesquelles se penche un nombre croissant de gens. J’ai été invité à présenter ma vision des aspects éthiques de l’appréciation des risques toxicologiques à l’occasion de la publication récente du livre « General and Applied Toxicology » puis dans le cadre des webinaires du Réseau d’échange sur les enjeux en santé environnementale. L’équipe de rédaction du BISE m’a fait l’honneur de m’inviter à écrire sur ce sujet pour le bulletin en couchant sur le papier les réflexions que j’ai partagées à voix haute avec les participants du webinaire. Il me semble judicieux de préciser d’entrée de jeu qu’il s’agit de ma vision personnelle sur un sujet important en santé publique, celui de l’appréciation des risques. Ce texte vous fera partager ma réflexion de non-éthicien sur ce sujet. Vous n’y trouverez pas de « recette éthique », mais une invitation au dialogue par le biais d’une série d’affirmations dont certaines pourraient vous paraître quelque peu provocantes.

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