Le consensus scientifique et l’estimation des risques *

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Claude Viau, Département de santé environnementale et santé au travail, Université de Montréal, C.P. 6128, succursale Centre-Ville, Montréal (QC) Canada, H3C 3J7, Publié dans Travail et santé 27 (4) : 22, 2011

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Le monde de la gestion des risques pour la santé devient progressivement plus complexe, mais aussi fort heureusement mieux structuré. Il se pose fréquemment des questions difficiles concernant la protection de la santé publique. À titre d’exemple de l’actualité récente, le bisphénol-A est-il réellement un perturbateur endocrinien qui pose un problème de santé publique? Est-il présent en concentrations suffisantes dans les produits de consommation pour poser un véritable risque pour la santé? Faut-il bannir les produits qui en contiennent, rappeler les produits actuellement sur le marché? Un des outils du gestionnaire de risque consiste à faire appel à des comités d’experts. Plutôt que de confier la responsabilité de l’évaluation du risque à un seul conseiller, on tente de stimuler des débats autour de l’analyse de la situation à partir de points de vue variés. On vise ainsi à produire une estimation plus fiable. La complexité des questions à résoudre nécessite par conséquent souvent la présence d’experts de compétences différentes autour de la table. Tout cela est fort adéquat et aboutit habituellement à la production de rapports qui traduisent le consensus auquel ces experts seront arrivés. Selon Irvine et coll. [1] toutefois, il est peu probable qu’un problème examiné en équipe pluridisciplinaire aboutisse à une solution unique. Par ailleurs, Hansson [2] évoque le danger associé à la perception de ce que représentent des rapports consensuels de tels comités experts. Ces documents risquent en effet d’être interprétés comme des rapports unanimes. Ils masquent alors l’incertitude et les opinions minoritaires qu’auraient certains de leurs membres. Or, les décisions prises par un gestionnaire de risque peuvent être très différentes selon qu’un avis expert soit unanime ou consensuel. L’unanimité suggère qu’il y a peu d’incertitude entourant l’estimation d’un risque et que la décision qui y est associée peut être prise avec assurance. Par contre, selon la solidité du consensus, l’incertitude entourant l’estimation d’un risque sera plus ou moins grande. Il est essentiel que le gestionnaire de risque appelé à fonder sa décision sur un tel consensus soit dûment informé de cette incertitude. On comprend donc fort bien que si l’analyse et l’estimation d’un risque est complexe, la décision de gestion du risque qui en découle est rarement simple.

S’imaginer qu’il existe une réponse facile à une question complexe, c’est souvent s’illusionner et ne rien régler. Comme le disait Einstein, il faut rendre les choses aussi simples que possible, mais pas plus simples [3].

 

1. Irvine, R., Kerridge, I. et McPhee, J. (2004). Towards a dialogical ethics of interprofessionalism. Journal of Postgraduate Medicine  50: 278-280.

2. Hansson, S. O. (2004). Fallacies of risk. Journal of Risk Research  7: 353-360.

3. http://www.evene.fr/citations/mot.php?mot=simple (consulté le 25 octobre 2011)

* Tiré en partie de deux publications de l’auteur : Viau, C. (2009). Ethical Issues in Toxic Chemical Hazard Evaluation, Risk Assessment and Precautionary Communications. In General and Applied Toxicology (B. Ballantyne, T. Marss, and T. Syversen, Eds.). John Wiley & Sons Ltd, Chichester ; Viau, C. (2010) Aspects éthiques de l’appréciation du risque toxicologique. Un coup d’œil personnel, www.inspq.qc.ca/bise/ (consulté le 25 octobre 2011)