Site de Benoît Melançon / Thèses canadiennes en littérature française du XVIIIe siècle
Roy, Stéphane, «De l’édition à l’édification : les portraits des Tableaux historiques de la Révolution française», Montréal, Université du Québec à Montréal, thèse de doctorat, septembre 2002. Dir. : Claudette Hould.
Cette thèse est consacrée à l’étude d’un genre (le portrait) et d’un médium (la gravure) pendant la période directoriale et consulaire. Nous procédons ici à l’analyse ? du triple point de vue de la technique, de la diffusion et de l’idéologie ? d’une collection de 66 portraits gravés formant le troisième et dernier volume des Tableaux historiques de la Révolution française (éditions de 1802 et 1804). Parce qu’elle tisse des liens étroits avec l’univers de la librairie et la sphère des beaux-arts, parce qu’elle s’inscrit aussi plus largement dans le champ politique, cette vaste entreprise éditoriale nécessite une prise en compte globale.
Les historiens qui examinent la relation de l’image au politique n’envisagent généralement la gravure qu’en son point terminal, c’est-à-dire en tant que produit achevé à partir duquel est fondée toute interprétation. Cette analyse «en aval», qui néglige de prendre en considération les caractères constitutifs de la gravure, exige que l’on évoque d’abord les questions relatives à cet art et les considérations attachées à sa pratique. La première partie de notre thèse, intitulée «Situation de la gravure pendant le Directoire et le Consulat», vise à fixer le statut de cet art, sujet d’autant plus complexe que la gravure occupe une position intermédiaire entre la sphère des beaux-arts et l’univers de la librairie. Le premier chapitre («L’art de la gravure : considérations contemporaines») rend compte des enjeux associés à l’estampe et livre le détail des débats qu’elle a suscités : appréciation de ce médium par les critiques, griefs formulés contre cet art, projets destinés à le régénérer d’un point de vue esthétique et politique. Le chapitre II («L’estampe dans les rouages officiels») examine l’implication de l’État dans les beaux-arts, plus particulièrement sous le rapport de la gravure : nature et valeur des encouragements financiers, avis et opinions émis par le personnel politique et rôle que le gouvernement désirait conférer à cet art.
Ces prolégomènes posés, il convient ensuite d’établir une trame éditoriale cohérente de cette entreprise de gravure; cette reconstitution est indispensable avant de soumettre l’ouvrage à tout effort d’interprétation. La seconde partie de la thèse, intitulée «Les portraits des Tableaux historiques : conception, diffusion et représentation», est consacrée aux aspects bibliologiques et visuels de cette collection éditée par Jean-Daniel Auber. Le chapitre III («La genèse d’une suite gravée») détaille la mise en œuvre de l’entreprise, de sa première annonce en 1797 jusqu’à son achèvement en 1804 : établissement et composition de chacune des livraisons, analyse des remaniements apportés par l’éditeur dans les différentes éditions (1802 et 1804). Puisqu’elle s’inscrit dans un contexte politique et artistique effervescent, la collection est mise en rapport avec les entreprises rivales. Le chapitre IV («Les portraits des Tableaux historiques considérés du point de vue des arts») est consacré aux aspects formels du recueil : étude des portraits en médaillon de Charles-François-Gabriel Levachez et confrontation de ce travail avec les portraits peints et gravés contemporains; analyse des vignettes de Jean Duplessi-Bertaux et mise en relation de ce corpus avec son travail antérieur.
La troisième et dernière partie, «Les ressorts politiques d’une entreprise de gravure», assure l’articulation du lien entre les arts et le politique aperçu dans cette collection de portraits. Le chapitre V inscrit ce recueil au carrefour des multiples considérations symboliques qui marquent la période directoriale : effort visant à introduire l’histoire contemporaine dans les arts, représentation des grandes figures révolutionnaires, charge et fonction symbolique du portrait gravé. Enfin, le chapitre VI («Les portraits des Tableaux historiques dans leur rapport au politique»), rend compte de l’envergure politique de cette entreprise de gravure. Ouvrage d’inspiration privée, il n’offre pas moins une interprétation orientée de l’histoire révolutionnaire, suggérée d’abord par les choix opérés par l’éditeur, confirmée ensuite par les notices descriptives de François-Xavier Pagès qui accompagnent les portraits. Après avoir évoqué les facteurs qui ont contribué à la détermination des sujets de cette collection, nous analysons les textes afin de voir en quoi ils se conforment ou non aux accents idéologiques contemporains de leur rédaction.
L’étude de cette collection de portraits offre l’occasion de nuancer plusieurs idées reçues concernant l’estampe en Révolution. Incomparable baromètre de l’opinion publique certes, la gravure ne fut cependant pas, pour des motifs qui relèvent de la théorie des arts et de la conjoncture politique, cet instrument de propagande officielle que l’on suppose habituellement. Révélateurs d’un engouement des contemporains pour l’actualité saisie à travers ses héros, les portraits des Tableaux historiques constituent la vitrine d’un imaginaire révolutionnaire qui se construit en marge ? et quelquefois aux dépens ? des canaux officiels.
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