Site de Benoît Melançon / Thèses canadiennes en littérature française du XVIIIe siècle
Motsch, Andreas, «Lafitau et l’émergence du discours ethnographique», Montréal, Université de Montréal, thèse de doctorat, 1995, x/368 p. Dir. : Wlad Godzich.
L’objet de ma thèse consiste à retracer l’émergence du discours ethnographique dans la littérature de contact sur les peuples du Nouveau Monde en esquissant à la fois les contingences historiques et les conditions discursives de cette émergence. Les Moeurs des Sauvages américains comparées aux moeurs des premiers temps du jésuite Joseph-François Lafitau représentent à cet égard une véritable somme anthropologique des écrits jésuites sur la Nouvelle-France. Grâce à leur précision descriptive, elles constituent une oeuvre ethnographique avant la lettre.
J’ai adopté comme fil directeur pour ma lecture le prédicament de la nouveauté de l’Amérique ou, plus précisément, de son altérité, car la question de l’altérité amérindienne est, à mon avis, à l’origine de la problématique centrale du texte. Cette perspective m’a permis de situer l’auteur et son oeuvre dans la tradition de la littérature de contact sur les Amériques et de développer in extenso la dimension épistémologique de la question.
Grâce à la contextualisation historique et à l’analyse textuelle, j’ai mis en évidence la centralité du référent identitaire dans le projet de réhabilitation de l’Amérindien. Pour faire entrer les Amérindiens dans l’humanité, le discours des Moeurs les compare aux anciens Occidentaux. Or, cette reconnaissance de leur humanité s’accompagne de l’effacement de leur spécificité et de leur identité propre : leur différence est transformée en un simple accident et n’est intelligible que si elle est incluse dans les présupposés et les schèmes de l’ethnographe.
Ma critique des dimensions historique et méthodologique et mon analyse du cadre ontologique et du fonctionnement des sociétés amérindiennes situent clairement le discours de Lafitau dans l’épistémè de la modernité occidentale. Mon analyse des catégories cognitives, des théorèmes et des figures discursives des Moeurs identifie le dispositif et les mécanismes de ce nouveau discours qui propose une interprétation rationnelle de l’Autre et qui, en même temps, le réduit à une variante du même. Bien que le discours des Moeurs ne soit pas entièrement rationnel — à cause principalement de ses présupposés théologiques —, il offre néanmoins une description rationnelle de l’altérité amérindienne et fait incontestablement de leur auteur le fondateur d’une nouvelle pratique d’écriture : l’écriture ethnographique.
Les problèmes épistémologique, discursif et politique soulevés par mon analyse ne sont pas étrangers aux débats contemporains qui secouent l’ethnographie — ou aux autres discours qui se prononcent sur l’altérité. À un moment où l’ethnographie se trouve dans une crise d’identité profonde, à cause précisément de son lien avec la modernité occidentale, l’analyse que je propose de son émergence comme pratique discursive au seuil de cette modernité même ne peut qu’enrichir le débat.
Mots clés : Altérité • Ethnographie • Discours • Amérindien • Joseph-François Lafitau
Publication
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Motsch, Andreas, Lafitau et l’émergence du discours ethnographique, Sillery (Québec) et Paris, Septentrion et Presses de l’Université Paris-Sorbonne, coll. «Imago mundi», 2, 2001, 8-302 p. Ill. ISBN : 2-84050-196-1. |
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