Site de Benoît Melançon / Thèses canadiennes en littérature française du XVIIIe siècle
Né en France, fils et petit-fils de maîtres-imprimeurs, Fleury Mesplet (1734-1794) installa ses presses en 1776 à Montréal où il publia le premier journal littéraire (1778-1779) et le premier périodique d’information (1785-1794). Entre 1776 et 1794, il imprima 96 livres et brochures. Ce nombre de publications est un record : l’imprimeur William Brown, à Québec, entre 1764 et 1789, ne fit paraître que 47 travaux. Il faut ajouter que Mesplet publia le premier almanach de langue française en Amérique. Il sortit aussi le premier livre illustré au Canada. Il imprima non seulement en langue française et en langue anglaise, mais encore en latin et en iroquois.
Fleury Mesplet reçut sa formation dans l’atelier de son père, Jean-Baptiste Mesplet, à Lyon, rivale de Paris dans le monde de la librairie et de l’imprimerie en France. Fleury Mesplet n’avait que vingt ans quand il prit la direction de l’imprimerie de sa tante, Marguerite Capeau-Girard, à Avignon. Il retourna à Lyon vers 1760, d’où il partit pour Londres en 1773. Les Mesplet étaient alliés aux libraires-imprimeurs Aimé de LaRoche, fondateurs du premier journal de Lyon, et Jean Deville, propriétaire d’une importante librairie. Le beau-frère de Fleury Mesplet, le libraire François de Los Rios, était l’ami de l’écrivain Joseph Vasselier, le principal correspondant lyonnais de Voltaire.
Le premier livre connu, imprimé par Mesplet sous son nom, le fut à Londres en 1773. C’était un ouvrage d’histoire, la Louisiane ensanglantée, dans lequel le chevalier Jean de Champigny appelait l’Angleterre au secours des Louisianais abandonnés aux Espagnols par le gouvernement de Louis XV. Après une année en Grande-Bretagne, Mesplet décida de gagner Philadelphie où il devint, en 1774, l’imprimeur de langue française du Congrès américain. À ce titre, il imprima trois lettres destinées aux habitants du Québec pour les inciter à se joindre au mouvement de libération du joug de l’Angleterre. À la recommandation de Benjamin Franklin, Mesplet, comme maître-imprimeur, fit partie de la délégation des commissaires envoyés à Montréal par le Congrès pour mettre en marche le processus démocratique dans la province de Québec, alors la seule colonie britannique ayant un régime «féodal». Mais la reconquête du territoire par les troupes britanniques refoula les miliciens américains hors des frontières canadiennes; restés sur place, Mesplet, ses ouvriers-imprimeurs et son journaliste furent emprisonnés durant vingt-six jours.
Libéré, Mesplet commença à imprimer des ouvrages de dévotion commandés par les religieux — Sulpiciens, Jésuites et Récollets —, ainsi que par l’évêque de Québec. Le 3 juin 1778, il lançait la Gazette du commerce et littéraire, qui deviendra peu après la Gazette littéraire, le premier journal uniquement de langue française au Canada, animé par l’avocat Valentin Jautard, le premier journaliste de langue française et critique littéraire au pays. L’imprimeur et le journaliste fondèrent aussi en 1778 l’Académie de Montréal, la première société de pensée créée en l’honneur de Voltaire en Amérique. À la requête du juge René-Ovide Hertel de Rouville — suivant une démarche semblable du supérieur des Sulpiciens et seigneur de Montréal, Étienne Montgolfier —, le gouverneur général Frédéric Haldimand supprima le journal le 4 juin 1779 et emprisonna Mesplet, Jautard durant plus de trois ans, sans permettre de procès. Après sa sortie de prison, l’imprimeur lança, le 25 août 1785, la Gazette de Montréal-The Montreal Gazette, périodique franco-anglais d’information qu’il dirigea jusqu’à son décès.
La Gazette littéraire ne fut pas seulement le premier périodique littéraire au Canada, elle fut aussi la première à diffuser de façon systématique les idées des Lumières. La Gazette de Montréal prit la relève, mais en élargissant son contenu par l’information. Le second journal de Mesplet entreprit des campagnes en faveur de réformes entre autres du système seigneurial et de l’enseignement. Il donna d’amples informations et commentaires sur la Révolution française, celle de la Déclaration des droits de l’homme, puis de la naissance de la République. Au mois d’août 1793, la publication d’un long commentaire «philosophique» contre la superstition et la tyrannie conduisit au boycott de la Gazette de Montréal par les postes royales. Limité dans sa diffusion, le journal continua à fournir des informations favorables à la France, jusqu’au dernier numéro imprimé par Mesplet le 16 janvier 1794.
Cette année-là, le relevé de ses biens indique que le premier maître-imprimeur de Montréal jouissait de l’aisance d’un bourgeois de cette ville. Dans sa carrière en Amérique, Mesplet avait pu compter sur un généreux bailleur de fonds, Charles Berger, un compatriote qu’il s’était associé à Philadelphie en 1774. Endetté envers des marchands de Montréal, en raison de son long emprisonnement, il tenta de se faire rembourser par le Congrès américain les frais de son installation comme imprimeur officiel des colonies unies dans la province. Il n’obtint qu’une compensation dérisoire et ses biens furent vendus à l’encan en 1785. Mais il ne fut en aucun temps emprisonné pour dettes et les commerçants ne lui retirèrent jamais leur appui publicitaire.
Fleury Mesplet était né à Marseille le 10 janvier 1734, d’Antoinette Capeau et de Jean-Baptiste Mesplet, maître-imprimeur originaire d’Agen. Il est mort à Montréal le 24 janvier 1794. Il avait épousé Marie-Marguerite Piérard, à Avignon, le 17 août 1756; Marie Mirabeau, à Lyon, vers 1765; et Marie-Anne Tison, à Montréal, le 13 avril 1790.
Publication
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Lagrave, Jean-Paul de, Fleury Mesplet, 1734-1794 : diffuseur des Lumières au Québec, Montréal, Patenaude, 1985, xv/503 p. Ill. ISBN : 2980045004; l’Époque de Voltaire au Canada. Biographie politique de Fleury Mesplet (1734-1794), Montréal, L’étincelle éditeur, 1993, 503 p. Ill. ISBN : 2-89019-272-5; Voltaire’s Man in America, Montréal, Robert Davies Multimedia Pub., 1997, 403 p. Ill. Traduction par Arnold Bennett. ISBN : 1-55207-007-7. |
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