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«En bref : Lettre à mon écrivain / Collectif», Spirale, 135, septembre 1994, p. 12.

Benoît Melançon

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Lettre à mon écrivain
Montréal, Éditions Lacombe, Communications Claire Lamarche et Association des libraires du Québec, 1993, 109 p. Préface de Dominique Demers.

Ils sont deux mille, ils ont sept ou vingt-cinq ans, «11 ans et trois quarts» ou «19 ans et cinq mois», ils habitent majoritairement en ville, ce sont plus souvent des jeunes filles que des garçons, ils ont deux traits en commun : ce sont des lecteurs et ils ont participé à un concours, lancé par Claire Lamarche, dans le cadre duquel ils pouvaient écrire à l’écrivain de leur choix, mort ou vivant. Inspiré de Lettre à l’écrivain qui a changé ma vie (Gallimard, 1992), Lettre à mon écrivain regroupe soixante-trois des lettres soumises.

Que lisent aujourd’hui les jeunes Québécois — en autant qu’on puisse en juger à la lecture de ce recueil ? De la bande dessinée et de la littérature pour la jeunesse, quelques classiques (Molière, Laclos, Nerval, Tolstoï, Rilke, Kafka, Camus, Hemingway, Colette) et des auteurs à succès, d’ici (Arlette Cousture, Francine Ouellette) ou d’ailleurs (Daniel Pennac, Agatha Christie, Robert Ludlum, Jeanne Bourin). Parmi les deux mille lettres reçues, dominaient, dans l’ordre, Lucy Maud Montgomery, l’auteure d’Anne of Green Gables, Stephen King et Émile Nelligan. Dans Lettre à mon écrivain, six auteurs ont droit à plus d’une mention : Nelligan et Vian sont les destinataires de quatre lettres, Christian Mistral, Félix Leclerc, Alexandre Jardin et Montgomery, de deux. Plusieurs noms étaient attendus (Kerouac, Saint-Exupéry, Tolkien, Dumas, Tremblay, Prévert), mais d’autres étonnent (Paul Géraldy, Pierre Larousse et «ses successeurs», Jeanne L’Archevêque-Duguay). De Jules César et les difficultés de son latin à Maupassant et son sexisme, l’éventail est étendu et imprévisible.

Dans sa préface, Dominique Demers note que «Les jeunes ne parlent pas de lectures mais de rencontres». Force est en effet de constater que la littérature, pour eux, c’est la vie. À leurs auteurs favoris, ils écrivent des lettres de reconnaissance, dans la double acception du terme : ils les remercient pour une lecture qui a changé leur vie, et ils avouent se reconnaître en eux ou en leurs personnages. La forme varie, le sens de la révélation reste le même : découvert au hasard, prêté par un ami ou un professeur, voire volé à la bibliothèque, le livre, inscrit dans une histoire personnelle, est un objet d’amour qui vibre dans les mains du lecteur.

Dès lors un dialogue virtuel s’engage, même si la correspondance est «à sens unique». On conseille à Stephen King de ne pas se laisser abattre par les mauvaises critiques, on demande une lettre à Gilles Tibo, on jure amour éternel à Nelligan, on invite Pierre Morency à la maison, on est jaloux des découvertes d’Émile Ajar ou de Sylvain Trudel, on annonce qu’on se fera soi-même écrivain. Ce dialogue n’est évidemment pas exempt des préoccupations communes, comme le rappellent telle allusion au suicide, telles craintes envers l’avenir et la «froideur du vrai», tel récit de viol. Radiographie partielle et partiale du Québec d’aujourd’hui — on ne sait pas quels critères ont motivé le choix des lettres retenues —, Lettre à mon écrivain fait entendre des histoires de lecture fortement chargées émotivement et, par là, le recueil montre, malgré les traditionnels discours alarmistes, la permanence, chez les jeunes, de la lecture et de l’écriture épistolaire. Germaine Guèvremont, Herman Hesse, Antonine Maillet, Jacques Poulin, Gilles Vigneault et Marguerite Yourcenar ont des lecteurs actifs.


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