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Thierry R. Batoum

 

Compte-rendu de lecture.

Chris Allen «Benin», in Marxist regimes : Benin, The Congo, Burkina Faso, NY, Pinter publisher, 1989, p. 50-74 et 117-130

    Le texte soumis à notre étude  est une description du système politique en République populaire du Bénin  dans les années 1970 et 1980. L’auteur soutient que le régime «Afro-marxiste» béninois a un système politique à l’image de presque tous les pays africains, caractérisé par l’autoritarisme et le clientélisme. Il montre qu’il s’agit t d’un régime hybride, utilisant une rhétorique proche des pays socialistes, empruntant constitutionnellement au système français, mais restant très africain dans ses pratiques. Pour déterminer la nature du système politique béninois après le coup d’état qui placé Mathieu Kérékou à la tête du pays en 1972, M. Allen analyse les rôles des principales institutions du pays et  la nature des rapports qu’entretiennent l’État et les différents groupes sociaux.

 

Résumé

    Dans un premier temps, l’auteur étudie les institutions clefs du régime. Il présente d’abord la constitution du pays, adoptée seulement en 1977, donc cinq ans après la prise du pouvoir par Kérékou. Ce texte qui emprunte à L’URSS sa philosophie marxiste-léniniste et à la France des pratiques constitutionnelles combinent trois types de clause: Celles relatives au cadre des institutions du pays et garantissant les droits et les devoirs; celles confirmant les institutions déjà créée et enfin un manifeste politique qui stipule qu’en République Populaire du Bénin, la voie du développement est le socialisme et  le fondement philosophique de ce choix est le marxisme-léninisme. Toutefois, l’auteur note que contrairement au model soviétique, l’État n’est pas perçu ici comme une structure de la classe ouvrière, mais plutôt comme émergeant d’une alliance de toutes les classes, sauf de la bourgeoisie. Il souligne aussi qu’il y a eu une relative  participation de la population lors de l’élaboration de ce texte fondamental. Après l’analyse de la constitution de 1977, M. Allen étudie les principales composantes du système politique de la République Populaire du Bénin. Dépassant le cadre formel de ces institutions, il s’intéresse aux pratiques et aux interactions entre les structures pour déterminer la nature du régime et localiser la source de l’autorité ou du pouvoir.

    L’auteur montre que la présidence de la République Populaire du Bénin est l’une des plus importantes sources de pouvoir du Pays. Malgré sa position constitutionnelle relativement fragile –théoriquement il exécute les décision de l’assemblée -, dans les faits, le président concentre les pouvoirs et les ressources importantes du pays. Il cumule les fonctions de Chef de l’État, Président du comité centrale du parti populaire révolutionnaire du Bénin (P.R.P.B.) le parti unique, chef suprême des forces armées et chef d’état major, ministre de la défense, chef de l’administration. Comme président du comité central du P.R.P.B., il intervient dans les nominations et les sélections des membres de l’Assemblée. Il contrôle l’appareil répressif du régime et nomme les autorités administratives des six plus importantes provinces du pays, ce qui lui assure un contrôle des ressources locales. Cette hyper concentration des pouvoirs place le Bénin de Kérékou dans la catégorie des systèmes «présidentialistes» comme le Zaïre de Mobutu.

    Pour l’auteur, le parti unique  est l’autre source importante du pouvoir dans le régime Afro-marxiste béninois. Contrastant avec les partis communistes d’Europe de l’Est, le P.R.P.B est loin d’être un parti d’avant-garde comme il se qualifie. Il a une très faible base (6000 membres). Ce n’est pas un parti populaire, mais plutôt un club d’élite. Il recrute surtout dans les cercles influents. Mais il exerce un grand contrôle sur l’appareil étatique et les groupes sociaux. Le président du comité central du parti est aussi le chef de l’État et président du Conseil National de la Révolution (C.N.R.) qui est en fait le cabinet. Le bureau politique du parti est l’organe le plus important du système politique béninois. Cette suprématie est à peine mentionnée dans la constitution.

    Après le coup d’État de 1972, les syndicats et les organisations étudiantes, très actifs depuis l’indépendance  ont continué à jouer un rôle important. Le parti unique va entreprendre des démarches pour contrôler cette société civile très peu soumise. Les membres de ces mouvements  vont ainsi subir la répression du régime, plusieurs leaders syndicaux et étudiants seront détenus sans procès et subiront la torture, d’autres seront simplement contraints à l’exile. Une autre méthode de contrôle du parti État est la cooptation des leaders qui sont nommés à des postes administratifs. Les organisations de travailleurs et d’étudiants seront aussi converties en organisations annexes du parti. Mais ces mesures ne parviennent pas vraiment à museler la société civile.

    L’Assemblée révolutionnaire du Bénin est une des dernières institutions avoir été mise en place après le coup d’état de 1972. Sa composition est essentiellement corporative. Les différentes catégories sociales et les institutions clés sont représentées par un quota de commissaires du peuple. C’est le parti unique qui présélectionne les candidats au  parlement qui sont présentés au cours de débats publics à l’issu desquels le comité central du parti émet une liste de commissaires du peuple.  Des élections formelles sont ensuite organisées pour légitimer le processus. Constitutionnellement l’Assemblée révolutionnaire est l’organe suprême du système politique. Mais l’auteur remarque que dans les faits elle est assujettie à la présidence de la république.

   Après avoir fait une analyse des différentes institutions politiques du pays, M. Allen  s’attarde sur la structure politico-administrative qui relais l’autorité du régime à l’intérieur du pays. Il s’agit d’une structure complexe qui mêle les organes administratifs à ceux du parti unique. Cette structure est pour l’auteur un simple véhicule des instructions du gouvernement et du parti unique, c’est aussi le lieu où s’activent les réseaux de clientélisme locaux. Toutefois, il se peut que cette structure serve à résoudre des problèmes d’intérêt commun. L’auteur démontre bien à travers cette structure la nature autoritaire et le clientélisme présent à tous les niveaux du système. Le Bénin  est présenté comme un système hybride où le marxisme est plus présent dans les discours que dans les pratiques. Pour M. Allen, ce qui caractérise le système c’est l’autoritarisme et le clientélisme avec son corollaire la corruption. Il explique l’adoption de l’idéologie marxiste au courant des années 1970 par la quête de légitimité du régime,  la recherche d’un support populaire et peut-être la réelle volonté de se donner un cadre de développement.

    M. Allen explique ensuite comment le régime s’est pris pour contrôler la société civile. Il le fait en étudiant les relations entre l’État et les différentes forces sociales. Cette prise de contrôle se fait essentiellement par la répression. La liberté de religion est reconnu au Bénin, mais des conflits entre le pouvoir et les chefs spirituels sont fréquents. Des leaders religieux  sont souvent internés arbitrairement. Une véritable chasse aux sorcières est même menée contre les adeptes des religions traditionnelles avec tous les abus que ça suppose. Des autorisations sont exigées pour organiser des cérémonies religieuses et des lieux d’initiations de jeunes sont convertis en foyers officiels. Ces religions sont perçues par les autorités comme des rivales pour l’extraction des taxes. Le gouvernement cherche aussi a contrôler les mouvements des femmes qui sont particulièrement actives dans le commerce. Elles sont peu présentes dans les différents corps professionnels et dans les cercles qui dirigent le pays. Leur participation est peu encouragée, les actions du pouvoir les concernant visent essentiellement à les contrôler. Une organisation unique des femmes affiliée au parti unique est créée par le pouvoir. Les rapports entre le pouvoir et les travailleurs sont encore plus houleux. Les syndicats, très actifs depuis l’indépendance sont une des principales cibles des autorités. Une fois de plus, la répression et la cooptation sont utilisées par le pouvoir pour annihiler ces mouvements. Le pouvoir va aussi essayer de séduire les syndicats en régularisant l’échelle salariale, mais la crise économique que subit le pays dans les années 1980 va remettre en question tous ces efforts. L’armée est  sous le contrôle direct du  président de la république qui en est le chef suprême, ministre de la défense et chef d’état-major.

    Au vu de la situation des droits de la personne au Bénin dans les années 1970-1980,  l’auteur classe d’emblée le pays dans la catégorie des États autoritaires. En Effet, les «opposants» au régime sont la cible du pouvoir qui n’hésite pas à les détenir sans procès, à les condamner à mort ou à les contraindre à l’exil. Ces «opposants» sont  surtout les membres des anciens régimes, les leaders syndicaux et étudiants. Pour les mater le pouvoir augmente les budget des forces de sécurité et les place sous le contrôle direct du président de la république. D’autres mesures comme l’instauration d’une carte d’identité visent aussi selon l’auteur à contrôler les mouvements d’opposition. Toutefois, l’auteur  note que la répression n’est pas la seule méthode pour museler l’opposition, la cooptation et l’indifférence sont d’autres moyens utilisés par le pouvoir. Il note toutefois que les libertés sont garanties par la constitution et que la presse est relativement libre. Comme dans la plupart des pays africains à cette époque, le système judiciaire est soumis à l’exécutif. Le gouvernement met en place plusieurs courts spéciales pour juger les affaires politiques, le comité central du parti le cabinet peuvent fonctionner comme des tribunaux.

 Dans la conclusion, M. Allen détermine les causes de l’instabilité politique en Afrique subsaharienne en générale et au Bénin d’avant l’afro-marxisme de Kérékou en particulier. Il attribue cette instabilité chronique à la nature autoritaire des régime et au clientélisme qui caractérisent ces États. Il argue que c’est la compétition effrénée pour avoir accès aux ressources étatiques qui crée des conflits entre élites. Il préconise des reformes structurelles et de gestion pour amenuiser des effets du clientélisme, maîtriser la corruption et imposer les institutions. Ces reformes peuvent passer selon lui par la centralisation du pouvoir, elle réduit  les ressources en jeu et affaiblit les réseaux de clients au sein du parti unique et de l’État. Il conseille aussi l’émergence d’une véritable bourgeoisie qui renforcera le tissu économique. Mais ces reformes ont des limites, elles peuvent même être dangereuses en excluant la plus grande partie de la population de la scène politique.

   En fin d’analyse, l’auteur arrive à la conclusion que «le régime marxiste» béninois est plus proche des régimes «présidentialistes» d’Afrique francophone comme la Côte-d’Ivoire que d’autres régime «Afro-marxistes» notamment le Mozambique et l’Éthiopie. En outre, le Bénin maintient des liens plus étroits avec du bloc capitaliste comme la France qu’avec les pays du bloc du de l’Est.

 

Critique

    

 Le texte de Chris Allen est très important dans la mesure où il s’agit d’une analyse profonde d’un système politique, pas seulement basé sur les textes, mais aussi sur les pratiques en cours. Il parvient ainsi à révéler la véritable nature d’un système qui, sous l’apparence du marxisme léninisme n’est en fait qu’un système politique «présidentialiste» typique de l’Afrique subsaharienne dans les années 1970-1980. L’auteur arrive ainsi à localiser le pouvoir au Bénin. Il démontre aussi clairement les mécanismes de prise de contrôle de l’ensemble de la société par le pouvoir autoritaire.

    Par contre, si l’auteur réussit bien à déterminer l’une des causes de l’instabilité chronique dans les États africains au cours des années 1970-1980 (le clientélisme et la corruption), il n’accorde pas une grande importance au rôle joué par les acteurs extérieurs, pourtant très important dans tous les pays francophones d’Afrique à cette époque. Il propose une solution pour le moins inadéquate pour une plus grande stabilité, même si elle est intelligemment menée. Il conseille des reformes allant dans le sens d’une plus grande centralisation de l’autorité pour affaiblir les réseaux de clientélisme et endiguer le corruption. C’est à croire qu’il donne raison aux  régimes africains qui, depuis les indépendances, sous le prétexte de «l’intérêt supérieure de la Nation» imposent des régimes autoritaires. Nous pensons que cette solution ne peut que individualiser davantage le pouvoir, ce qui n’est pas forcement une bonne chose et va plutôt dans le sens du renforcement des dictatures. En 1989, il ne pense pas encore que la démocratie est une alternative plus juste pour les africains, les événements lui donneront tort quelques mois après la publication de son texte.