(26 mars) Démocratisation, formules institutionnelles, élections

Thierry Batoum (2ème rapport de lecture)

Patrick Quantin, «Pour une analyse comparative des élections africaines», Politique africaine : n* 69, 1998, 12-28

Jean du Bois de Gaudusson, «Les solutions constitutionnelles des conflits politique», Afrique contemporaine, numéro spécial, 4è trimestre 1996.

Retour


Jean du Bois de Gaudusson
«les solutions constitutionnelles des conflits politiques»

Patrick Quantin
«Pour une analyse comparative des élections africaines»


                                                   

Jean du Bois de Gaudusson
«les solutions constitutionnelles des conflits politiques»

     Pour l’auteur, il est erroné de penser que le droit constitutionnel puisse apporter une solution aux crises politiques de l’Afrique. Les constitutions africaines comportent bien des mécanismes de préventions de crise, mais ces textes fondamentaux restent trop souvent inappliqués et ne sont pas toujours respectés.

      Consacré au début des indépendances , le droit constitutionnel a été réduit à sa plus simple expression avec  la montée des autoritarismes  dès 1963. Avec les coups d’état et les dictatures qui se sont installés, il ne servait plus qu’à légitimer les régimes monolithiques. Mais cette situation était variable selon les pays. Les constitutions étaient plus ou moins respectées.

     L’années 1989 avec le début des transitions démocratiques marque un nouveau tournant pour l’histoire du droit constitutionnel en Afrique. La proclamation de l’état de droit dans plusieurs pays africains place la constitution au cœur de la résolution des conflits politiques africains. Le recours à la violence et aux solutions politiques n’est plus systématique. Les mécanismes juridiques inscrits dans les constitutions sont de plus en plus utilisés et dans certains cas, ce recours juridique est même systématique, ce qui en fait des systèmes presque juridictionnels.

     Lors de ces premières années de démocratisation, la constitution a constitué l’un des principaux enjeux des crises politiques. Le passage d’un régime autoritaire à un régime démocratique requérait l’élaboration de nouvelles constitutions garantissant les principes démocratiques. Ce qui constituera l’un des principaux chevaux de bataille des fameuses conférences nationales.

     La définition du nouveau régime par la constitution ne se fait pas sans mal et est à l’origine de conflits.  C’est le cas à Madagascar où le pouvoir et l’opposition s’affrontent en 1991 et finissent par trouver un compromis en amendant simplement la constitution du 31 décembre 1975, ce qui permet à aboutir à un changement de régime en 1992.

     Un renouveau constitutionnel est observé un peu partout en Afrique. Divers attributs de la démocratie comme des techniques de contrôle politique des gouvernements, des systèmes de contrôle de constitutionnalité, le multipartisme, des mécanismes  garantissant des droits fondamentaux sont inscrits dans les constitutions. Ces dernières reconnaissent l’existence de conflits sur la scènes politique et se dotent des moyens de prévention et de résolution des crises. Le multipartisme et les processus électoraux permettent aux  nouvelles constitutions de se mettre en pratique. Une fois de plus les résultats et les conséquences de ce renouveau ne sont pas les mêmes dans tous les pays.

     L’auteur note que les débats politiques sont de plus en plus portés sur le terrain du droit et les acteurs politiques accordent une plus grande importance aux considérations juridiques et se réfèrent plus à la constitution en cas de divergence.

     Sous la double pression de l’opinion publique interne et de la communauté internationale, la recherche de légitimité par la légalité devient une norme. Les juges jouent de plus en plus leur le rôle de médiateurs gardiens de la constitution dans les conflits. Les cours et les tribunaux constitutionnels nouvellement crées prennent un place de choix sur la scène publique, une fois de plus cette affirmation est nuancée par l’auteur qui note que cela dépend des pays. Dans certains pays la cour constitutionnelle devient un acteur très influent de la scène politique, les tribunaux sont sollicités plusieurs fois en un laps de temps très court et prennent des décisions déterminantes pour la poursuite du processus démocratique. Au Bénin, elle reconnaît la constitutionnalité de la création de la commission électorale autonome en 1995, malgré l’opposition du Chef de l’État. Au Niger, elle arbitre une cohabitation houleuse  au cours de l’année 1995. En Côte-d’ivoire elle tranche la controverse entourant la succession de F.Houphouet Boigny.

     Pour l’auteur. Ces interventions judiciaires sont la preuve de la «juridicisation» du débat politique sous l’État de droit en Afrique, évitant ainsi des affrontements politiques. Mais tout ceci peut aussi être un voile qui couvre des affrontements en sourdine.

     Si le recours judiciaire est souvent utilisé pour arbitrer des conflits, il sert aussi souvent de simple stratégie dans l’action politique. Cette hypothèse est illustrée par l’auteur par la motion d’empêchement contre A. Zafy, le premier président de la troisième république malgache. En 1996. Cette mesure extraordinaire, déclarée par la cour constitutionnelle à cause des dérives autoritaires du président aurait pu être remplacée par une simple motion de censure de l’Assemblée nationale, mais ce choix aurait permis à M. Zafy de contrer cette mesure en dissolvant l’Assemblée . Les événements auraient pu prendre la même tournure en 1996 au Niger si l’armée n’était pas intervenue avant.

     Si aujourd’hui le constitutionnalisme est accepté de tous en Afrique, il demeure encore fragile. Les recours judiciaires de plus en plus nombreux sur le continent dans le débat politique sont trop souvent stratégiques et cachent mal des enjeux politiques. Il ne s’agit pas toujours de faire respecter les dispositions constitutionnelles, mais plutôt d’affaiblir des adversaires.

M. de Gaudusson souligne les limites des recours au droit en se posant quelques questions :

-          la préférence systématique accordée au mode de régulation juridique et judiciaire, au détriment des modes politiques, ne traduisent-elles pas un refus d’un compromis politique qu’illustre la crise nigérienne?

-          Instrumentalisé par des acteurs politiques, le droit n’en vient-il pas à être saisi par la politique et à ne plus assurer sa fonction pacificatrice?

En outre les constitutions de la plupart des pays africains recèlent de contradictions et de lacunes qui couvent  de potentiels conflits.

    Malgré ces limites, l’auteur pense que les recours au droit participent à l’intériorisation de la constitution et à l’État de droit, et se sont préférables à l’utilisation de la force comme moyen de régulation politique. Toutefois, l’un n’exclut pas l’autre.

     L’essai de M. de Gaudusson est une très bonne analyse de l’Évolution du droit constitutionnel et de l’importance désormais accordée à la constitution en Afrique. Cette étude a l’intérêt d’être nuancée. En effet., l’auteur insiste sur la différence de trajectoire selon les pays. Il note aussi les limites et les dérives que peuvent contenir les recours systématiques au droit constitutionnel. Avec l’exemple du Niger, il montre bien que ces recours ne mettent pas les États à l’abris de la violence politique.

     M. de Gaudusson en critiquant l’opportunisme politique derrière les recours judiciaires en Afrique, peut laisser penser qu’il s’agit là d’une spécificité africaine. Cela n’est pas tout à fait vrai. L’exploitation politique des «affaires» en France et même au Québec ou encore les mesures d’empêchement au États-Unis et aux Philippines ces dernières années sont la preuve du contraire. L’exploitation du judiciaire par le politique est considérée comme «une pratique de bonne guerre» et sert à affaiblir des adversaires politiques dans toutes les démocraties.

     Pour ce qui est des lacunes et des contradictions contenues dans les constitutions africaines, il s’agit là aussi d’un fait observé partout dans le monde. Il n’existe pas de constitution parfaite capable de mettre un système à l’abris de tout conflit. Ce qu’on peut considérer comme des limites ou des contradictions dans les textes, perçues d’un point de vue optimiste sont des sources qui alimentent des les débats politiques nécessaires au bon fonctionnement de la démocratie.

 Haut de page


Patrick Quantin
«Pour une analyse comparative des élections africaines»

     D’entrée de jeu l’auteur appelle à une révision de la lecture des élections en Afrique. En effe,t il dénonce le peu d’intérêt porté aux élections dans la politologie africaine et le manque de problématique dans les approches des comptes-rendus des événement électoraux africains. En outre, il note une méfiance intellectuelle sur les méthodes d’analyse des événements électoraux africains.

     L’instabilité des régimes démocratiques, les mauvaises expériences électorales et le retour des autoritarismes sont d’autres facteurs qui minent les recherches sur les élections en Afrique et expliquent le peu d’investissement qui y est consacré.

Pour l’auteur, si on note une floraison extraordinaire des études politiques sur l’Afrique, le sujet n’a pas encore été banalisé. Les hypothèses et les méthodes de la «science politique classique» ont encore de la peine à y être appliquées, ce qui constitue une lacune.

     En voulant ainsi trop se démarquer de la «science politique classique», l’analyse du politique en Afrique se prive des outils du comparatisme, pourtant nécessaires à son épanouissement. En négligeant les la démocratie électorale, les politologues africanistes renforcent les préconçus  sur les «cultures locales»qui ne sont pas toujours forcement compatibles avec la rationalisme des sciences sociales Cela pousse l’auteur à penser que les situations électorales africaines devraient être banalisées, tout en tenant compte des contextes particuliers.

     Une frontière naturelle n’existant pas entre élections compétitives et élections non-compétitives, l’auteur propose qu’on analyse les élections par rapports à des types idéaux définissant des élections compétitives. Pour lui les élections ne sont qu’une variable dans la compréhension des électeurs, et dans les élections non-compétitives le pouvoir n’est pas forcement dans le urnes. La parfaite compétition restant un idéal même pour les démocraties occidentales, l’auteur analyse les élections africaines comme n’importe qu’elle élection sous d’autres cieux.

     La pratique électorale en Afrique n’est pas forcement considérée comme l’expression d’un rite social par la population. Là où les élections ne sont pas justes, il ne faut pas les prendre pour des pratiques institutionnalisées. Elles peuvent représenter autre choses.

     Pour l’auteur, même si les élections régulières ne sont pas un gage de progrès social et de redistribution de richesse, il est intéressant prendre comme référence la démocratie électorale et comme cadre théorique l’analyse stratégique pour comprendre l’échange électoral en Afrique. Ce choix méthodologique se rapproche de la définition procédurale de la démocratie qui met l’accent sur le processus électoral et non sur les performances du régime. Cette approche doit aussi se départir des explications culturalistes qui compliquent davantage l’analyse du politique en Afrique. Il note aussi le fait que les recherches sur les élections en Afrique mentionnent toujours des reformes socioculturelles nécessaires à la bonne tenue des élections, d’où la tendance dans ces études ne stigmatiser que les imperfections et les inadaptations.

     S’il est vrai que la fin plus ou moins heureuse des transitions a freiné l’ardeur des débats sur la démocratisation en Afrique, les comparaison Nord-Sud et Sud-Sud se révèlent encore très utiles pour cerner la question électorale  sur le continent. Pour mener à bien ces recherches, l’auteur propose pour des études comparatistes l’élargissement du champ d’étude en incluant les expériences électorales des cinquante dernières années en Afrique, et non se limiter aux seuls scrutins de 1990-1993.En procédant ainsi, il repère trois grandes catégories d’anomalie dans les scrutins africains :

     -    celles qui décèlent à l’absence de discipline ou d’intériorisation des normes de

 bonne conduite et qui posent le problème en termes de non-institutionnalisation de la loyauté politique                                         

-          celle qui touchent aux difficultés de l’organisation et de la mobilisation partisane et qui déplorent l’absence de scène politique;

-          enfin, le problèmes liés à la production des représentations et des choix.

Cette liste d’anomalies semble classer les scrutins africains dans une catégorie exceptionnelle dans l’analyse du politique, mais l’auteur appelle à un démarche critique et à une vision relativiste.

     Ailleurs dans le monde où la démocratie a plus de succès, on est passé par cette étape d’institutionnalisant du modèle. Il note par ailleurs que les imperfections des pratiques électorales persistent  et sont même permanentes dans «les démocraties les plus avancées». Sans rejeter la spécificité des élections africaines, l’auteur soutient que les pays qui sont cités comme exemple en matière de démocratie connaissent des problèmes similaires dans leurs processus électoraux en ce qui concerne les normes de loyauté politique, la mobilisation partisane, les interférences identitaires remettant en cause l’individualisation du vote. Pour mieux cerner les situations électorales de l’Afrique, il propose deux hypothèses :

-         la fraude électorale comme élément constitutif du «marché politique» avant d’être une pratique anormale;

-         la violence électorale comme forme non-conventionnelle de participation politique plutôt qu’indice d’un refus de procédures démocratiques.

     Pour l’auteur, comme dans d’autres échanges sociaux, la loyauté ne peut être garantie, même pas par le vote pour ce qui est du politique. Les démocraties ont ainsi besoin d’une discipline spécifique pour faire face aux multiples pressions auxquelles elles sont contraintes, notamment la fraude et la violence.

     L’institutionnalisation d’une discipline électorale mettant à l’abris le processus   électoral des dérives n’est pas le seul fait d’une expérience plusieurs fois répétées. Pour que le processus électoral ne débouche pas sur une crise politique, il faut que les acteurs politiques intériorisent tous que la voie électorale est la seule qui donne qui donne accès au pouvoir. Il insiste sur le respect des règles de légitimité par voie électorale. Pour lui les déviance observées dans les systèmes africains ne sont pas unique à l’Afrique.

     Ces déviances (fraudes, corruption, violence…) révèlent  l’existence d’une certaine compétition dans les système à parti dominant que l’on connaît sur le continent, compétition inexistante dans les système à parti unique où il n’y a pas un pluralité de choix. Dans le premier système, le parti dominant est bousculé dans ses derniers retranchements et a parfois recours à la ruse ou à la violence pour que le pouvoir ne lui échappe pas. Selon l’auteur, ces déviances, existent encore dans les démocratie occidentales, mais à un niveau moindre.

     Les enjeux des élections ne se  sont pas forcement cerner en focalisant l’attention sur les fraudes. La question qu’il faut se poser est celle de savoir si l’alternance est possible dans le système, d’où l’intérêt porté par certains auteurs (Bratton et van de Walle) sur l’alternance au sommet et le peu d’importance accordé à la fraude quand un changement est possible. Le catalogue des type de fraude en France au XIXème siècle est semblable à ce que connaît l’Afrique de nos jours. L’auteur évoque d’ailleurs à ce propos l’hypothèse d’une contagion coloniale. Il pense que scrutins africains sont sévèrement jugés, car cela se fait sur les mêmes bases que les démocraties occidentales, pourtant ces dernière ont pris pratiquement un siècle pour institutionnaliser leurs élections. Les déviances qui y persistent n’empêchent pas le fonctionnement de la démocratie électorale.

     Dépassant les préconçus, l’auteur ne voit pas la violence électorale comme un trait culturel africain exprimant le rejet de la démocratie électorale. Il émet l’hypothèse qu’il s’agit d’une forme non-conventionnelle de participation politique contrairement à l’abstentionnisme et à «l’exit option» qui s’assimileraient mieux à de la non-participation.

     La violence électorale serait ainsi de la participation politique qui tourne en confrontation .La brutalité observée dans cette confrontation ne peut se comprendre qu’en tenant compte des valeurs en vigueur dans les sociétés. Ces valeurs sont variables selon les individus. Les actions collectives de violence exprimeraient aussi un participation et feraient partie du répertoire de la manifestation politique. Ces aussi le cas des expressions symboliques de la violence que l’on retrouve dans les discours et à travers certains gestes, et l’auteur de soutenir qu’il n’y a pas de vote sans un minimum d’indiscipline. Il affirme que dans les sociétés où la violence est quelque chose d’ordinaire, la démocratie électorale ne pourrait être menacée par la violence électorale qui n’est qu’une continuation de cette violence ordinaire.

     Tout comme la fraude, la violence s’accroît avec la compétition et montre l’intérêt des enjeux. Il note une diminution de la violence électorale lors des deuxièmes élections après les transitions africaines. Cette baisse s’explique en partie par la démobilisation des masses et la restauration des régimes autoritaires, donc un manque d’enjeu.

La violence électorale s’explique ainsi par la non-institutionnalisation du vote qui demeure un acte insolite et non rituel. Pour faire y mettre fin, l’auteur propose que les élections soient prises en charge par des institutions fonctionnant bien et respectées des électeurs, ainsi elles seront soit familières, soit enveloppées d’une aura. Or cette tâche ne se fait pas aisément en Afrique parce que certains acteurs politiques ont recours à la violence pour se maintenir au pouvoir.

     L’auteur conclut son essai en donnant des pistes de réflexion supplémentaire pour mieux comprendre la dynamique des élections en Afrique :

-          est-ce la contestation du résultat des urnes ne correspond pas le plus souvent à l’absence de stratégie de remplacement du perdant plutôt qu’à une incompréhension de la procédure démocratique?

-          Le clientélisme et l’achat des voix n’empêchent pas le fonctionnement de la démocratie électorale si le marché politique est libre et privatisé, c’est à dire sans monopole empêchant la compétition;

-          Le vote communautaire n’est pas un obstacle à l’établissement de la démocratie électorale, il ne fait que précéder l’individualisation du vote.

 Le texte de M. Quantin se lit comme un appel à plus de relativisme dans les analyses des élections en Afrique. En effet l’auteur révèle que les déviances observées dans les processus électoraux africains sont la preuve de l’existence d’une certaine compétition ce qui n’était pas le cas sous les régimes monolithiques. En outre il ajoute que les fraudes et autres violences électorales sont aussi observées dans les démocraties occidentales. Il illustre sont propos en se référant à la situation électorale dans la France et l’Angleterre du XIXème siècle et aux pratiques douteuses encore en cours en France et note que le vote a été institutionnalisés après plus d’un siècle dans ces pays.

    En affirmant que les déviances dans le processus électoral n’empêchent pas forcement le bon fonctionnement de la démocratie électorale et qu’il faut surtout s’intéresser à la possibilité de l’alternance, l’auteur prend position pour la démocratie procédural et néglige l’impact du processus sur les masses. Nous pensons qu’il y’a de bonne raison de croire que dans certains cas les violences et les fraudes électorales nuisent dangereusement la démocratie. Elles concourent à la démobilisation des masses et aboutissent à la non participation politique.

    Si l’auteur a raison d’affirmer que les déviances sont permanentes dans tous les processus électoraux, sa comparaison des cas africains contemporain avec l’Europe du XIXème siècle peut être sujette à controverse.

Haut de page