Quelques questions fondamentales

Pourquoi l'harmonie est-elle essentielle dans la formation musicale ?

La période comprise entre 1600 et 1900 environ est celle où a dominé la tonalité classique. La grande majorité des œuvres composées répondent à des principes communs d'enchaînement d'accord, de conduite des voix et de structure harmonique en lien avec la forme. L'harmonie tonale est le résultat d'une codification de ces principes issus du répertoire. Comprendre l'harmonie tonale est donc indispensable pour apprécier les subtilités des œuvres tonales.

La pratique de l'harmonie est intimement liée à la formation auditive. L'étudiant doit entendre ses réalisations, notamment la conduite des voix (sensible vers tonique, par exemple) et l'enchaînement des accords, comme VI-II-V-I. L'harmonie permet le développement d'une écoute mélodique, harmonique (par accord) et polyphonique. Mais il y a un élément de plus que dans une dictée. Les faculté auditives sont mises en éveil différemment lorsqu'il s'agit pour l'étudiant d'entendre ce qu'il a écrit lui-même. Il est confronté à la distance entre son intention de départ et l'effet qui en résulte. Cette prise de distance objective par rapport à soi même est indispensable à toute interprétation sur un instrument de musique.

L'affinement des facultés auditives se fait aussi par reconnaissance d'enchaînements-type d'accords, lesquels sont omniprésents dans toute la musique tonale. La succession des accords dans le système tonal répond à des constantes. La plus fondamentale de celles-ci est, bien entendu, le couple dominante-tonique.

En outre, l'harmonie est intimement liée à l'analyse musicale. En musique tonale, forme et harmonie sont intiment liées. Ainsi, toute phrase se termine par une cadence impliquant la dominante, et les tonalités où se produisent les modulations sont toutes en lien avec la tonalité principale. Des formes entières, comme la forme sonate, sont bâties à partir de la tension entre une tonalité principale et une cadence forte à une autre tonalité.

Il faut donc situer le cours d'harmonie dans une formation musicale globale. Il est certes possible d'apprendre à exécuter la musique sans trop se poser de question. Mais il n'est pas impossible que plusieurs étudiants aient besoin un jour ou l'autre de faire une harmonisation ou une courte composition. Une approche trop restreinte limitera toujours le musicien, d'abord dans son interprétation, et aussi dans sa capacité de faire des liens entre différents aspects de la musique. Car même s'il existe différentes approche, la musique demeure toujours la musique. Apprendre à faire chanter une voix dans un devoir d'harmonie relève tout autant d'habiletés musicales que d'improviser un blues sur un pattern harmonique. Tout est une question d'approche.

 

Pourquoi faut-il obéir à des règles que plusieurs compositeurs outrepassent ?

Les nombreuses règles de l'harmonie sont souvent perçues comme un obstacle à la musicalité et à l'affirmation personnelle des étudiants.

D'abord, il faut bien admettre que pendant trois siècles, les musiciens ont pu s'exprimer à l'aise dans le système tonal sans que soit freinée leur musicalité. La valeur du système tonal est donc bien éprouvée. En fait, il ne faut pas confondre difficulté et musicalité. Il est souvent plus difficile d'être musical dans un contexte limitatif. Mais la véritable créativité ne résulte-t-elle pas des trouvailles qui résultent d'avoir surpassé les contraintes, comme le dit Stravinsky dans Poétique musicale ? Combien de chefs-d'oeuvres sont-ils nés de contraintes que s'étaient imposée le compositeur?

Un élève brillant pourrait toutefois légitimement s'objecter en évoquant le caractère inutilement artificiel de certaines contraintes. Ces contraintes sont néanmoins justifiées par 3 raisons :

 

Pourquoi étudier la tonalité classique alors qu'elle ne correspond plus au langage actuel ?

Il est faux de dire que la tonalité classique n'est pas actuelle. Certes, elle n'est pas d'avant-garde, ni employée comme telle par les compositeurs d'aujourd'hui, mais elle est actuelle en ce sens que nous en sommes toujours plus ou moins entourés. Aussi grand que soit le désir de se sortir d'un cadre de création devenu trop étroit, il demeure que les nouveaux langages se sont constitués à partir de la tonalité classique, par modification, par isolement de certains paramètres ou encore par négation.

Arnold Schoenberg, instigateur du mouvement dodécaphoniste sériel au XXe siècle, connaissait parfaitement le répertoire classique. Il a d'ailleurs laissé plusieurs écrits sur la musique tonale, dont un traité d'harmonie. Il a agit en toute connaissance de cause, déconstruisant le système tonal au début des années 1900 pour le reconstruire selon un nouvel ordre à la fin de sa vie.

Gabriel Fauré a développé un système harmonique basé sur le camouflage de la dominante, les accords substituts et un contrepoint libre diatonique employant les accords du système tonal. Messiaen prend appui sur les notes étrangères classées dans le traité de Dubois, comme la broderie ou l'appoggiature, pour élaborer Techniques de mon langage musical.

Ce que ces compositeurs ont en commun, c'est d'avoir su dégager du cas particulier un principe plus universel qu'il ont ensuite adapté à leur sensibilité propre. La dominante, omniprésente en musique tonale, correspond à un pôle de tension harmonique commun à la plupart des œuvres musicales. C'est un cas particulier qui reflète un principe plus universel.

Étudier l'harmonie n'est donc pas une mince affaire. Le défi vaut cependant la peine d'être relevé, car c'est à ce prix que se forme un bon musicien.